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trouveraient de suffisantes réfutations dans les inductions géologiques et zoologiques des Geoffroy Saint-Hilaire et des Élie de Beaumont. Ce n’est pas le rationalisme français, qui, théorie toute psychologique et non religieuse, n’a été qu’une réaction contre la doctrine qui fait découler nos connaissances de l’expérience sensible, et s’est vu obligé d’admettre des idées innées que le principe spirituel est réduit à puiser directement en lui-même. Ce n’est pas le rationalisme italien de Rosmini, qui donne exclusivement au raisonnement abstrait le pouvoir de démontrer, sans données expérimentales, la réalité objective des substances et l’existence des premières manifestations de l’intellect. Le rationalisme de M. Ausonio Franchi roule sur le critérium qu’on doit adopter dans l’examen des théories religieuses ; il tend à prouver que les dogmes théologiques, à quelque religion qu’ils appartiennent, ne procèdent point d’une révélation divine, mais qu’ils ont pour source la nature même de l’homme ; en un mot, il a pour but de « retracer l’origine naturelle et d’expliquer la génération psychologique des idées que la théologie transforme en dogmes divins et révélés. »

Il faut regarder le chapitre où M. Franchi expose cette curieuse transformation comme l’une des plus remarquables dissertations qu’on ait écrites sur le même sujet. Si M. Franchi s’élève avec raison contre certaines fusions ridicules qui ne sont autre chose que de honteux compromis, s’il démontre l’impossibilité logique d’une sorte de mariage mystique entre la philosophie et la théologie, il ne procède pas davantage par un système d’exclusions non motivées, de négations absolues, dans lequel la philosophie critique aurait le tort de se réfugier. Ce n’est pas en se contentant de déclarer absurdes certaines croyances qu’elle en démontrera l’absurdité. Comme l’erreur l’a précédée, elle ne doit pas craindre de venir sur le terrain de l’erreur et de l’y combattre avec ses propres armes, avec ses propres argumens. En s’attaquant à un système de croyances surnaturelles que l’humanité croit généralement consacrées et imposées par la tradition, il ne faut pas oublier que, si la nature humaine n’est pas infaillible, elle n’est pas non plus complètement absurde. Elle ne se trompe jamais entièrement, et ses erreurs, — qu’on nous pardonne cette espèce de naïveté, — ne sont que des altérations plus ou moins confuses de la vérité.

« Tout l’édifice théologique a été construit d’après l’idée de Dieu considérée comme l’idée de l’homme : » telle est la vérité que M. Franchi a essayé de dégager de ces erreurs. Certes, dans la théologie même, ce n’est pas Dieu qui a fait l’homme à sa ressemblance, c’est l’homme qui a fait Dieu à son image ; il n’a pu se rendre compte de l’essence divine qu’en la déterminant par des attributs humains, élevés, il est vrai, à leur suprême expression. De cette manière, la religion, procédant par l’anthropomorphisme, a fait de la Divinité l’idée collective, mais suprême, de nos sentimens et de nos qualités. L’homme a séparé de lui-même sa forme, sa personnalité, tout son être enfin, et il s’est mis sous la dépendance abstraite de ce nouveau subjectif, après l’avoir doué d’une abondance infinie d’attributs qui se résument tous dans l’idée générale de perfection. Passant ensuite des conceptions générales aux faits plus immédiats, M. Franchi a examiné les conséquences, soit abstraites comme théologie, soit concrètes comme dogmes, qui résultent