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pourquoi le commerce a déserté si complètement cette ville, dont le port est le meilleur de toute l’Anatolie Le docteur (un médecin français que M. de Hell trouva à Sinope) prétend qu’il faut un peu s’en prendre à la population, qui se distingue par une paresse excessive. Les hommes passent leur vie au café, ne se mettant au travail qu’à la dernière extrémité… Les cafés pullulent dans la ville, et la solitude est partout, excepté là[1]. »

Voilà quelques traits de l’état de la Turquie d’Asie telle que la dépeint un peintre disposé à voir en beau : ils se rapportent exactement à l’état de la Turquie d’Europe telle que la décrit M. H. Mathieu, et je ne m’étonne pas que l’Asie, dépérissant, ne vienne pas en aide à l’Europe, dépérissant aussi. Ce ne sont pas les villages déserts de la Bithynie qui viendront peupler les villages déserts de la Thrace. La solitude n’a rien à envier et rien à donner à la solitude.


II

Comment remédier à ce dépérissement progressif ? M. de Hell croit, comme M. Viquesnel, comme M. H. Mathieu, qu’il faut que l’activité industrieuse des Européens vienne vivifier le territoire de l’empire turc. Cependant, quoique M. Hommaire de Hell nous dise que la Turquie implore l’appui de la France, les Turcs continuent à repousser et à dédaigner les Européens. « Tout en n’ayant qu’à me louer personnellement de mes relations avec les Turcs, dit M. Hommaire de Hell, je me permettrai de faire encore une légère critique de l’orgueil dont ils font preuve dans ces provinces éloignées, où ils conservent toute la hauteur dédaigneuse qu’avaient jadis les pachas de Constantinople. Un Européen, de quelque rang qu’il soit, n’est toujours à leurs yeux qu’un giaour indigne d’être traité de pair à pair… Il faudra de grandes révolutions pour effacer chez les Turcs de vieille roche des préjugés qui sont comme infiltrés dans leur sang, car ils se considèrent toujours comme la race conquérante, et se croient encore au lendemain de la prise de Constantinople[2]. » — « Le pacha ne m’a pas rendu ma visite, dit-il ailleurs[3], ce qui prouve que dans ces contrées lointaines les Turcs conservent leur orgueil, si blessant pour les Européens. Il faudra du temps encore pour effacer les préjugés de race qui donnent aux musulmans une morgue peu compatible avec le mouvement et les idées qui

  1. Voyage en Turquie et en Perse, exécuté par ordre du gouvernement français en 1846-1847-1848, par M. Hommaire de Hell, p. 312-314, 315-316, 323, 346-347.
  2. Voyage en Turquie et en Perse, exécuté par ordre du gouvernement français en 1846-1847-1848, par M. Hommaire de Hell, p. 364.
  3. Ibid., p. 428.