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a retrouvé sa foi ? les sibylles, les oracles, c’est-à-dire toutes les voix supérieures de l’humanité, entonnent avec lui l’invocation au dieu inconnu.

La prière est si pressante, que le dieu apparaît enfin, C’est le sujet de la troisième partie et la peinture de l’homme moderne. Voilà bien M. Quinet tout entier, voilà le secret de sa perpétuelle inquiétude. Deux archanges, Michel et Raphaël, sont descendus des cieux auprès du titan enchaîné. Ils l’interrogent, ils écoutent son histoire, ils lui annoncent que Jupiter n’est plus, et, brisant ses fers, ils l’emmènent avec eux dans les sphères supérieures. Hélas ! il a si longtemps attendu, il a si cruellement gémi sous les étreintes du doute, que le doute le poursuit encore. Peut-il croire à cette félicité que les célestes messagers lui promettent ? Sera-ce bien là le dernier terme ? Pendant qu’il monte vers l’infini, il entend le chœur des dieux vaincus qui prédisent en ricanant la mort future du dieu nouveau. Cruelle obsession qui corrompt son bonheur ! Il en triomphe pourtant, il arrive régénéré au sein de Jéhovah, et le poème se termine par les concerts, des séraphins, qui chantent la présence éternelle de Dieu et la sainte joie de L’humanité.

En relisant ce poème après bien des années, je me demande si M. Quinet y annonçait la fin du christianisme, comme Prométhée avait annoncé la mort des dieux païens ? Je ne le pense pas. Prenons garde de nous laisser tromper par les idées toutes différentes que le poète a pu concevoir plus tard. Le principe de M. Quinet, principe vraiment philosophique, était celui-ci : tant que l’humanité n’aura pas à se prosterner devant un idéal plus beau, plus humain, plus divin que la vie et la mort de Jésus, le Christianisme est à l’abri de toutes les attaques. Seulement la loi du Christ ne se prête-t elle pas à des développemens nouveaux, à des applications plus étendues ? M. de Lamartine a dit :

Les siècles, page à page, épellent l’Evangile ;
Vous n’y lisiez qu’un mot, et vous en lirez mille.

Cette pensée suffisait alors à M. Edgar Quinet, qui se contentait volontiers d’aspirations généreuses et indécises ; ce serait se tromper gravement que d’attribuer à l’auteur de Prométhée une pensée plus nettement formulée, et surtout une pensée hostile au christianisme. Il y a même, dans ce drame épique, un retour marqué à l’inspiration chrétienne de même qu’il y a dans, la forme un effort évident vers la sobriété des maîtres. En étudiant Racine, il n’avait pas respiré en vain la pure fleur du spiritualisme chrétien et cartésien du XVIIe siècle. L’espoir d’une renaissance religieuse, d’une nouvelle résurrection du Christ, pour employer son langage, voilà