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lui-même, par le besoin de la science et de la foi. Un ministre qui cherchait à relever l’enseignement supérieur venait de créer plusieurs facultés des lettres en province ; il chargea M. Quinet d’inaugurer à Lyon la chaire de littérature étrangère. L’auteur d’Ahasvérus quitta sa résidence de Heidelberg, où il s’était initié à la philosophie de l’art et à la grande poésie ; son devoir désormais était de compléter l’inspiration de l’Allemagne par le cœur et l’esprit français.

Le 10 avril 1839, M. Quinet prit possession de sa chaire en présence d’un auditoire considérable. Le succès fut grand dès les premiers jours. Avant de dessiner rapidement l’histoire littéraire universelle, le professeur s’était dit : « Quelle est l’âme de toute littérature ? La pensée religieuse. De la conception de Dieu dépendent toutes les formes de l’art. L’introduction à l’histoire de l’imagination humaine, c’est l’histoire des religions. » Voilà comment M. Edgar Quinet parlait des Védas et de la Bible devant la foule suspendue à ses lèvres.

Ce brillant cours de Lyon est devenu un livre ; on le trouvera dans le Génie des Religions (1842). M. Quinet accomplissait un des vœux de toute sa vie quand il traçait cette histoire religieuse du monde. Résumant les travaux de la science depuis un demi-siècle, mettant à profit les recherches des voyageurs anglais et l’érudition hardie des Allemands, il suit, de l’Himalaya au Sinaï, la longue enfance du genre humain, et montre comment sa conscience s’est élevée de la théogonie indienne au Dieu de la Bible et de l’Évangile. Le XVIIIe siècle, considérait les dogmes comme une invention de la politique ; M. Quinet restitue à la religion la place suprême qui lui appartient. Bien loin d’être l’œuvre artificielle d’un législateur humain, la religion, selon lui, est l’intuition spontanée, par conséquent divine, de l’âme collective de l’humanité. Dans toute religion consacrée par la foi d’une race entière, il y a quelque chose de Dieu. N’est-ce pas ce qu’ont proclamé les docteurs les plus orthodoxes, quand ils ont cru reconnaître dans tous les cultes antérieurs à la venue du Messie les débris d’une révélation primitive ? Mais le sujet principal de M. Quinet, ce n’est pas tant l’origine que le génie des religions. Une fois que l’enthousiasme religieux a produit le dogme, le dogme règle tout ; l’état, la science, la philosophie, les formes diverses de l’art, tout dépend de là, et les grandes révolutions qui agitent le monde politique attestent qu’une révolution analogue est accomplie déjà dans la conscience des hommes. D’après ce résumé de ses principes, on voit tout d’abord à quelle hauteur s’est placé l’écrivain. Ce n’est jamais l’élévation qui manque à M. Quinet, mais trop souvent, dans son extase philosophique, l’œil fasciné par l’éclat