Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vieil Orient, sorties manifestement de la conscience du genre humain à l’époque de ses créations spontanées ; de l’autre, un personnage unique, un personnage dont le rôle individuel ne saurait être contesté, et qui a fait son apparition dans une époque de réflexion et d’analyse, après les travaux de la philosophie hellénique, chez un peuple partagé en d’innombrables sectes. Pour des faits si opposés une explication commune est impossible. Si M. Quinet s’était moins préoccupé de l’unité de son livre, il n’eût pas laissé une telle lacune dans son tableau. Qu’y a-t-il donc à louer dans cette vaste et incomplète ébauche ? Un grand principe et d’admirables fragmens. Ce grand principe, c’est l’importance accordée à la religion, la place suprême qu’elle obtient dans la philosophie de l’histoire. Quant aux fragmens dont je parle, il suffit de rappeler les chapitres sur l’épopée indienne, sur la renaissance des études orientales au XIXe siècle, sur le livre de Job, sur la civilisation hellénique, principalement sur le génie de l’art. Le sentiment du progrès moral, par conséquent de la liberté et de la responsabilité individuelle, proclamé à chaque page de ce livre, éclate surtout comme un hymne dans cette glorification de la beauté. Il y a là de braves paroles, comme dit Montaigne ; répétons-les. Après avoir montré que l’architecture, la sculpture, la peinture, la musique la poésie, sont les degrés par lesquels il est donné à l’imagination humaine de s’élever jusqu’à l’idéal, l’auteur s’écrie éloquemment : « Mais sont-là en effet tous les arts par lesquels on peut gravir vers la beauté ? Je crains bien d’avoir omis le premier et le plus important de tous. Les modernes n’y pensent guère dans leurs théories, les anciens n’avaient garde de l’oublier jamais. Et cet art souverain, quel peut-il être, si ce n’est celui de la sagesse, de la justice, de la vertu, ou, pour tout comprendre à la fois, l’art de la vie ?… Je ne cacherai pas la moitié de ma pensée ; oui, il y a du Phidias dans chacun de nous, parce qu’il y a du Phidias dans toute créature morale. Oui, chaque homme est un sculpteur qui doit corriger son marbre où son limon jusqu’à ce qu’il ait fait sortir de la masse confuse de ses instincts grossiers une personne intelligente et libre. Le juste, c’est-à-dire celui qui règle ses actions sur un modèle divin ; celui qui sait, quand il le faut, dépouiller la vie mortelle, comme le sculpteur dépouille le marbre, pour atteindre la statue intérieure,… voilà le dernier terme et le comble de la beauté sur terre. Voilà le poème, le tableau, l’harmonie par excellence ; car c’est une harmonie vivante, un poème vivant. L’œuvre et l’ouvrier sont intimement unis et confondus ; il n’y a rien au-delà, si ce n’est Dieu lui-même. »

On voit quelle élévation religieuse, quel enthousiasme moral animaient la pensée de M. Quinet. Ce spiritualisme viril succédant aux