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de cette valeur. Ne devait-il pas surtout continuer à se vaincre lui-même ? Il s’était vaincu dans Prométhée, dans l’étude sur la Vie de Jésus, dans le chapitre sur le génie de l’art, je veux dire qu’il avait accompli sur lui-même un progrès manifeste, et que sa pensée avait suivi un développement régulier et hardi. Les luttes de 1843 à 1848 ont contrarié cet harmonieux essor. Son âme était toujours généreuse, sa parole éloquente et fière ; sa pensée ne planait plus aussi librement sur les hauteurs. Poète ou philosophe, M. Quinet était quelquefois vague et indécis, il ne déclamait pas ; orateur révolutionnaire, publiciste démocratique, il a déclamé plus d’une fois. Plus d’une fois aussi il abandonnait ses principes au moment où il en poursuivait l’application. En veut-on un exemple ? Un des principes de M. Quinet peut se résumer ainsi : « On ne remplace les vieux systèmes philosophiques et religieux qu’en s’élevant au-dessus d’eux. Soyons plus spiritualistes, plus libéraux, plus tolérans, plus respectueux pour tout ce qui est de l’âme, plus pénétrés de la grandeur de l’homme que les religions auxquelles nous prétendons succéder. C’est le seul moyen de les vaincre. » Voilà une belle pensée ; c’est beaucoup de l’avoir conçue, ce n’est rien si on l’applique à faux. La pratique est tout en ces matières où il s’agit de la vie spirituelle. Quel est le système pratique, quel est l’ensemble de lois et de devoirs qui résultent de l’enseignement de l’orateur ? Il serait lui-même fort embarrassé de le formuler nettement. Dans ses leçons sur le christianisme et la révolution française, il a beau dire : « L’esprit de la révolution française est de s’identifier avec le principe du christianisme ; » on voit trop bien, si l’on va au fond des choses, qu’à ses yeux le christianisme est aboli, et que la révolution le remplace. L’auteur l’avoue assez clairement, lorsque plus loin, essayant de s’arrêter sur la pente de sa pensée, il s’écrie : « Toute grande qu’est la révolution, je ne demande pas que vous en fassiez une idole. » Idole ou non, la révolution est pour lui la loi nouvelle. Or cette confusion de la révolution, c’est-à-dire d’un fait si complexe, d’une crise formidable où toutes les puissances de l’homme sont déchaînées, où le bien et le mal, le crime et l’héroïsme, l’humanité et la bestialité, se heurtent en de monstrueux conflits, cette confusion, dis-je, de la révolution et du christianisme peut-elle être acceptée par une conscience religieuse ? Dites que la révolution a réalisé certains principes de l’Évangile, et que tout ce qu’elle a fait de bon et de durable vient de là ; dites que le monde moderne, issu de la révolution, si mal consolidé qu’il soit encore, vaut mieux que le monde du moyen âge : voilà des vérités aussi éclatantes que la lumière du soleil ; mais ces vérités-là n’intéressent que l’esprit. La religion appartient, comme dit Pascal, à l’ordre de charité ; la religion