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au fond de l’église. Là j’attendis, sans me faire remarquer, que la jeune fille se décidât à rentrer en ville. Je n’attendis pas longtemps. Après le salut, je vis défiler devant moi la foule qui encombrait l’église, et je reconnus la jeune fille, accompagnée de sa mère. J’ignore si elle s’aperçut de nouveau de ma présence, car j’étais caché dans l’ombre d’un pilier ; mais avec l’instinct de la femme elle se retourna sous prétexte de faire sa génuflexion, et je la vis parcourir d’un dernier regard l’intérieur de l’église.

Je pus la suivre cette fois jusqu’à sa demeure. C’était une maison d’assez belle apparence, rue de la Croix, entre la place d’Espagne et la place Saint-Charles, tout près du Corso. Dès lors je ne me donnai pas un instant de repos que je n’eusse découvert le nom et la condition de la famille qui habitait rue de la Croix. Grâce à quelques pièces d’or, infaillible talisman à Rome, je sus bientôt tout ce que je désirais savoir. Séraphine était la fille d’un officier français qui, lors du passage de l’armée républicaine en Italie, était resté en garnison à Rome, et avait été aide-de-camp du général Championnet, puis du général corse Cervoni. Cet officier vit la mère de Séraphine et en devint éperdûment amoureux ; mais sa demande en mariage fut rejetée, car la jeune fille appartenait à une famille riche et d’une noblesse illustre, tandis qu’il n’avait d’autre fortune que son épée, d’autre noblesse que celle du cœur. Cependant l’amour de l’officier français, partagé par la jeune fille italienne, finit par triompher de ces difficultés. Les chances de la guerre obligèrent l’heureux époux à quitter l’Italie centrale pour suivre son drapeau. Tour à tour accompagné par sa femme et abandonné par elle quand les besoins du service l’exigeaient, le commandant C… fut enfin rejoint en Espagne par Victorine-Clélie. Quelques mois après, elle le rendit père d’une fille qui reçut le nom de Séraphine. À la chute de l’empire, l’ancien aide-de-camp, devenu lieutenant-colonel, quitta l’armée et vint habiter Rome avec sa femme ; mais leur bonheur, domestique ne fut pas de longue durée, car il mourut bientôt des suites d’une maladie qu’il avait gagnée au service.

Séraphine, Espagnole de naissance, fille d’un père français et d’une mère romaine, possédait en elle quelque chose de ces trois natures. Douée d’une imagination ardente comme une méridionale, fière et jalouse de son nom et de sa vertu comme la fille d’un noble de Castille, elle avait en même temps, et presque à son insu, un grain imperceptible de coquetterie française. Elle avait habité quelques années la France, et elle en connaissait parfaitement les goûts, les usages, les défauts, la langue surtout, qu’elle parlait comme une Parisienne, tandis qu’elle prononçait l’italien avec la douceur, la facilité et la suave harmonie d’une Siennoise. À force de constance