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donnant sur la seconde cour du palais et presque en face de l’hôtel de l’ambassade russe. J’y trouvai un lit de camp une table, deux chaises et l’Imitation de Jésus-Christ. On me demanda si j’avais besoin de quelque chose ; sur ma réponse négative, on ferma la porte et on me laissa seul avec moi-même, c’est-à-dire seul avec les tourmens et les tristes fantômes qui tiennent surtout compagnie à un pauvre prisonnier la première nuit de sa détention.


II

Mes amis, ma famille et Séraphine restèrent une semaine sans entendre parler de moi, à ce point qu’on commençait à pleurer ma mort. Le gouvernement se décida enfin à rompre le silence et à avouer ma détention pour cause politique. Je languis environ vingt jours dans cette espèce de cachot où l’on m’avait jeté d’abord. Il n’est pas de tortures comparables à celles que j’endurai au palais Madame : mal nourri, mal couché, sans feu au cœur de l’hiver, sans lumière la nuit, sans livres, j’étais en outre mis au secret le plus absolu ; mais la douleur physique n’était rien en comparaison de la douleur morale. Je me reprochais amèrement les imprudences qui m’avaient conduit là ; je maudissais le passé, je redoutais l’avenir :

Praeteritique memor flebam, metuensque futuri.


Après plusieurs mois d’attente, mon procès commença. Tout le monde sait qu’à Rome les instructions durent un temps infini ; mais comme dans la prévention qui pesait sur moi (affiliation à une société secrète) j’avouais tout, sauf le nom de mes complices, et que je reconnaissais avoir appartenu à la Jeune-Italie, mon affaire marcha assez vite. Il me fallut subir néanmoins d’interminables interrogatoires. Le juge d’instruction (giudice processante) était un homme de cinquante à soixante ans, d’une stature et d’une corpulence assez développées. Il portait un costume qui tenait le milieu entre celui du prêtre et celui du maître d’école ; cependant je ne pourrais le décrire au complet, n’ayant jamais vu l’individu qui en était affublé qu’assis pro tribunali et caché derrière un énorme pupitre. Sa tête seule était tout à fait en évidence, et avec raison, car c’était le morceau vraiment capital de sa digne personne. Sa physionomie assez replète, mais allongée, se terminait brusquement en un menton très pointu ; les mâchoires étaient taillées à angles vifs, les pommettes saillantes, le nez illustré d’une magnifique verrue ; tout le reste du visage, à la fois rouge et vert, bilieux et sanguin, décelait un caractère très porté à l’irritation. Une perruque rouge dansait sur son crâne dénudé, luisant, raboteux. La surprise redoublait lorsque l’honnête