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moyen, avait lassé Annibal et sauvé sa patrie. Quoi qu’il en soit, son éminence se crut dispensée d’agir avec cette vigueur et cette célérité qui nous étaient indispensables, et nous dûmes renoncer à sa protection.

Sur ces entrefaites, Grégoire XVI partit pour Castel-Gandolfo, sa résidence habituelle pendant l’automne. Un éclair d’espérance traversa l’esprit de mon infatigable solliciteuse. Sans perdre de temps, elle se rendit avec sa mère à Albano, petite ville située auprès de la résidence papale. Une fois installée près du château pontifical, Séraphine n’eut d’autre soin que d’étudier les habitudes du pape, et quand elle fut complètement fixée sur le plan à suivre, elle se mit en devoir de l’exécuter.

C’était par une belle soirée d’automne. Le pape avait parcouru dans la journée toutes les petites villes qui entourent sa résidence, et partout il avait reçu un accueil enthousiaste. À Albano, toutes les rues par lesquelles il devait passer avaient été jonchées de fleurs disposées avec l’art qui préside à une infiorata, comme on dit en Italie. On se procure d’immenses quantités de fleurs de toute espèce, et on les effeuille dans de grands paniers, dont chacun reçoit sa couleur. À l’aide de quelques bandes de carton et de quelques cercles de bois, on forme dans les rues, sur la surface du pavé, une mosaïque de fleurs et de verdure à laquelle on donne plusieurs centimètres d’épaisseur. On compose ainsi des arabesques de toute sorte, des emblèmes au milieu desquels sont tracées les lettres initiales des noms du prince ou du souverain à qui l’on veut rendre hommage. Lorsque l’infiorata est faite, la circulation est momentanément interdite, et le pape et son cortège ont seuls le droit d’en déranger l’élégante symétrie. C’est ainsi qu’on venait de célébrer à Albano l’arrivée du pontife, accompagné de l’ex-roi de Portugal, dom Miguel de Bragance.

Le soir, le pape se promenait à pied dans la villa Barberini, située aux portes de Castel-Gandolfo ; son cortège le suivait à une assez grande distance, comme il en avait donné l’ordre. Il marchait lentement dans une allée assez étroite, bordée de chaque côté par une charmille épaisse que coupaient à intervalles réguliers des niches de verdure où se trouvaient des bancs et des statues. L’allée se terminait à un rond-point en forme de terrasse, décoré de vases et de fontaines, d’où l’on jouissait d’un magnifique panorama. Le pape venait d’arriver sur cette espèce de plate-forme, quand une femme habillée de noir, la tête couverte d’un long voile, se leva d’un banc de pierre où elle était assise, et courut se jeter à ses pieds. Le vieillard interdit s’arrêta. Très timide lui-même, il parut vouloir retourner sur ses pas. Séraphine, voyant que de cette rencontre dépendaient