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dans la suppression des mécanismes intermédiaires destinés à distribuer et à diviser le contrôle et la responsabilité entre ces deux points extrêmes, l’opinion et le sommet du pouvoir. Nous n’essaierons pas de la désabuser ; nous ne chercherons pas à lui démontrer que l’unité apparente n’est pas toujours la perfection dans le mécanisme des institutions, que la théorie et la pratique, que l’opinion des plus grands hommes d’état et les expériences les plus décisives de l’histoire sont d’accord pour établir le danger d’une simplicité séduisante dans la constitution du pouvoir, et que les rouages intermédiaires qu’elle dédaigne sont une plus sûre sauvegarde de l’ordre et de la liberté. La constitution de 1852 est une dérivation du fameux système de Siéyès, et nous serions plus à l’aise pour l’apprécier, si nous écrivions l’histoire des idées de la révolution française, qu’en discutant les questions d’application et de pratique soulevées par les incidens de la politique contemporaine. Qu’importe d’ailleurs la théorie en pareille matière ? Les nécessités pratiques ont bientôt raison des théories erronées, et à des controverses stériles nous préférons le verdict de l’expérience future. Nous nous en tenons donc au point de départ de la Patrie : la responsabilité du pouvoir suprême en face de l’opinion. Si la vie politique est soumise à la combinaison de ces deux forces, il est évident qu’elle ne pourra s’exercer qu’à une condition : c’est que la manifestation libre et sincère de l’opinion sera assurée. C’est donc là, c’est dans l’organisation d’un système de garanties qui protège la libre expression des opinions que la Patrie transporte le problème politique du présent et de l’avenir. Après en avoir posé les termes, nous aimons à espérer que la Patrie ne reculera point devant les solutions urgentes que ce problème réclame. La Patrie ne regarde point en effet comme une solution le régime auquel la presse est encore soumise six ans après le 2 décembre. « Elle lui souhaiterait, c’est elle-même qui le déclare, plus de liberté. » C’est à la restauration, fût-elle graduelle, de cette liberté qu’il importe de travailler. Tous les intérêts la réclament. La presse joue dans les sociétés modernes un rôle analogue à celui que remplissent dans le monde matériel ces rapides moyens de communication dont profite l’industrie : elle est la locomotive des informations, des idées et des discussions dont vivent les esprits. Peut-on condamner longtemps les esprits à l’inertie, lorsque les corps sont emportés par un mouvement si rapide ? Peut-on entraver le libre échange des idées, lorsque les produits matériels circulent si vite ? Nous ne le croyons pas. Les intérêts bien entendus du pouvoir ne sont pas moins liés au réveil de l’opinion et au jeu régulier des discussions publiques. Le pouvoir, responsable devant l’opinion, a besoin de trouver dans l’opinion un appui aussi bien qu’une résistance salutaire. À côté d’un pouvoir fort et comme condition de sa force, il est indispensable que la puissance d’expansion de l’opinion soit constituée et réglée par un fort système de garanties. En dehors de ces garanties, le pouvoir tel que le conçoit la Patrie ne serait qu’un Stylite assailli, dans le silence et au-dessus du Vide, par les vertiges de l’abîme.

À prendre comme un symptôme les déclarations de la Patrie, il est visible que ces vérités sont comprises autour du pouvoir. On a voulu voir encore une confirmation de ces tendances dans le décret qui a confié le ministère