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débuter par une banque d’escompte et de circulation fondée sur les bases les plus correctes et agissant pendant quelques mois d’après les principes les plus sensés, s’étaient figuré que Law, avait été entraîné par la tentation ou la nécessité des circonstances hors des voies de l’orthodoxie financière. C’est une erreur que n’a pas commise M. Thiers. Law avait conçu son système bien avant de fonder sa banque, et s’il fit le sage dans ses débuts, c’est que le brillant aventurier espérait, et il n’y réussit que trop, faire passer tout le système à la faveur de l’institution utile qui en était le frontispice. C’est ce qu’a établi mieux que personne un écrivain anglais, M. James Murray, dans un excellent volume d’histoire financière qui vient de paraître sous ce titre : French Finance and financiers under Louis XV[1]. Ce n’est pas Law seulement, c’est le gouvernement des finances sous Louis XV qu’étudie M. Murray. Nous sommes étonnés qu’un Anglais ait exploré avec tant de patience et d’exactitude un côté de notre histoire si aride et si négligé des Français eux-mêmes. Il ressort d’un pareil travail de curieuses lumières historiques, qui, pour les Français, deviendraient facilement des leçons politiques. M. Murray part de la présidence du maréchal de Noailles au conseil des finances du régent et finit avec les infâmes mesures de Terray. On peut dire qu’il a parcouru toute la gamme des fautes, des folies et des crimes que peut commettre le pouvoir absolu dans la gestion des intérêts financiers. L’état où cette longue série d’abus laissait la France à la mort de Louis XV est décrit par lui avec une sagacité qu’on ne s’attendrait pas à rencontrer chez un étranger. « L’ancien régime, dit-il, avait perdu toute puissance réelle, quoiqu’il conservât encore les apparences de l’autorité. Ceux mêmes qui avaient profité de ses abus avaient cessé de le respecter, tandis que la masse des sujets le regardait avec horreur et avec mépris. Il était impuissant à repousser les ennemis qui de toutes parts le blessaient au cœur ; mais il donnait carrière à sa malice par d’innombrables petites persécutions qui finirent par persuader au Français qu’il n’avait pas à redouter de pire ennemi que son gouvernement. La suppression des parlemens, les opérations de Terray étaient bien faites pour pousser à bout la patience nationale ; mais le courant de l’opinion populaire était contraire à une insurrection armée. Maupeou et son parlement, Terray et ses confiscations devenaient matière à plaisanterie, et fournissaient une ample pâture à l’esprit parisien. Le gouvernement était regardé comme une sorte d’étranger dont les caprices causaient sans doute des vexations, mais n’étaient pas réellement dangereux. Il existait partout une conviction instinctive que les jours du vieux système étaient comptés, et que c’était un inutile emploi de la force que d’essayer de renverser violemment un pouvoir qui devait tomber en pièces par l’effet naturel de sa ruine intérieure. » On voit que M. Murray n’a perdu dans le dédale des opérations financières de l’ancien régime ni le coup d’œil, ni le trait de l’histoire.

Quelle tâche ingrate, si nous revenons aux questions contemporaines, préparent à l’historien futur les nouvelles complications dont l’empire ottoman est en ce moment le théâtre ! La Turquie n’est pas, si l’on veut, le malade

  1. Londres 1858, Longman.