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peint après le Sposalizio et un peu avant la Déposition au tombeau qui, orne la galerie Borghèse à Rome, par conséquent entre les années 1504 et 1507. C’est ce qui ressort, malgré la différence des sujets, du goût d’exécution commun aux trois tableaux et du développement progressif des mêmes principes. Comme dans la plupart des œuvres de Raphaël antérieures aux Stanze, la mise en scène est ici fort simple, la composition dépourvue de tout appareil dramatique. Si l’on juge, au point de vue de nos idées modernes, le calme des expressions et des lignes, on s’étonnera peut-être que deux personnages, dont l’un songe après tout à faire écorcher l’autre, puissent se trouver ainsi face à face sans se témoigner réciproquement plus de mauvais vouloir. Ce n’est pas de la sorte assurément queues peintres de l’école espagnole comprendront, un siècle plus tard, le même sujet, et lorsque Raphaël lui-même le traitera une seconde fois sur les murs du Vatican, il ne se contentera plus de cette sobriété dans le geste et de ces attitudes paisibles. Au commencement du XVIe siècle toutefois, le goût des réalités violentes était encore très peu répandu en Italie, particulièrement dans les écoles de Toscane et d’Ombrie, où se perpétuaient les doctrines des quattrocentisti. Qu’on se rappelle les œuvres de ceux-ci : à l’exception des scènes de la vie de Constantin, peintes par Piero délia Francesca dans l’église Saint-François à Arezzo, des fresques de Luca Signorelli à Orvieto, et de certains ouvrages de Paolo Uccello à Florence, les monumens qui nous restent de l’art italien au XVe siècle n’accusent ni de fort vives préoccupations dramatiques, ni même la recherche du mouvement. Tout y respire une majesté tranquille, tout y est, non pas certes engourdi, mais en repos. La découverte des fragmens antiques et le culte dont ils devinrent l’objet n’avaient pas peu contribué sans doute à développer ces tendances au calme pittoresque, naturelles d’ailleurs chez les grands maîtres italiens. En refusant à son tour d’agiter les traits de ses héros et les lignes de la composition, Raphaël ne suivait donc pas seulement ses instincts : il obéissait aussi à une loi commune et continuait une tradition.

Toutefois, — et c’est là un des caractères essentiels du tableau, — l’expression, si contenue qu’elle soit, ne s’annihile pas ici, comme dans les œuvres du Pérugin par exemple, sous le charme un peu doucereux de l’aspect. La passion, pour se manifester discrètement, n’est ni sacrifiée, ni absente. Apollon, debout à droite un bras replié sur la hanche, l’autre élevé à la hauteur de la tête le long d’un bâton dont la ligne inflexible soutient et fait valoir les souples contours du corps, Apollon écoute avec une sérénité dédaigneuse les maigres sons que tire de la flûte son prétendu rival. La tête du