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alliances, engage des luttes, essaie sur une petite échelle le combat de la vie réelle. L’école se gouverne, comme l’état, par la délibération parlementaire, la lutte des partis, le conflit des opinions, les meetings et les discours après dîner. Quant aux mœurs de l’école, elles sont la fidèle image des mœurs de la société anglaise : ce sont des mœurs violentes, tapageuses, un peu brutales, — les mœurs de futurs squires chasseurs de renards, de futurs sportsmen qui seront renommés un jour sur le turf pour l’excellence de leurs chevaux et l’habileté de leurs jockeys, de futurs gentlemen cosmopolites qui courront le monde à la poursuite de toutes les fortes émotions physiques, et qui préféreront à tous les autres les plaisirs auxquels se mêle le sentiment du danger. La prédilection de l’Anglais pour les exercices physiques commence dès l’école, et cette prédilection n’est point contrariée par la surveillance des maîtres ou les règles de l’établissement. Le directeur ne répond aux parens ni des membres qui peuvent se fracturer, ni des fluxions de poitrine que peuvent amener une course un peu trop prolongée, une partie de ballon un peu trop chaude. Entorses, yeux pochés, mâchoires endommagées, ce sont là des accidens vulgaires dont personne ne s’inquiète, et qui n’attirent ni réprimandes aux coupables, ni compassion aux victimes, car le maître est pour ainsi dire exclu de la police du collège. Ce sont les écoliers eux-mêmes qui font leur police, et la première règle est qu’ils ne doivent en aucun cas avoir recours à la protection du maître. Ainsi il n’y a pour ceux qui ont une tendance innée à la lâcheté ou à l’hypocrisie aucune ressource à espérer dans les basses intrigues et les dénonciations jésuitiques. La délation et la trahison sont des vices inconnus dans une école anglaise. Les habitudes du mensonge ne peuvent y fleurir non plus, car, débarrassés de tout espionnage et de toute contrainte, les enfans n’ont à répondre de leurs actions qu’à eux-mêmes, ou à leurs égaux, qu’ils n’ont aucune raison de redouter. Les énergies de l’âme se développent sans rencontrer aucun obstacle, les nerfs s’affermissent, la timidité naturelle à l’enfant disparaît pour faire place à l’esprit de résistance. Grâce à cette liberté absolue, chacun mesure déjà ses forces morales et commence l’expérience de la vie. De même que le self government consiste en une confiance absolue dans le caractère de l’homme, l’éducation anglaise s’appuie sur une confiance absolue dans les instincts de l’enfant. Help thyself, défends-toi, soutiens-toi toi-même, — c’est là l’axiome sur lequel reposent l’éducation comme la société en Angleterre.

Une école publique anglaise dans ses défauts comme dans ses qualités est l’image fidèle d’une société libre et laïque, d’une société composée de grands seigneurs populaires et de bourgeois orgueilleux,