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qui nous rendent aveugles à l’endroit de la réalité. Si les préjugés politiques pouvaient tuer une nation, il y a longtemps que l’Angleterre serait morte ; heureusement pour leur repos, les Anglais ont toujours corrigé leurs préjugés par leur conduite pratique. Ainsi faisait le squire Brown, au dire de son fils. « À ces principes tories il associait certains principes sociaux qui généralement ne sont pas supposés d’un torysme bien pur. En première ligne, il prétendait qu’un homme doit être entièrement apprécié selon ce qu’il vaut, et par ce qu’il porte intrinsèquement entre ses murailles de chair et d’os, indépendamment de ses vêtemens, de son rang, de sa fortune et de toutes les circonstances extérieures, quelles qu’elles soient. On peut, je pense, considérer cette croyance comme un correctif salutaire de toutes les opinions politiques, et comme rendant également inoffensives toutes les opinions, qu’elles soient bleues, rouges ou vertes. Comme corollaire nécessaire à cette opinion, le squire admettait qu’il importait fort peu que son fils eût pour camarades les fils d’un lord ou les fils d’un paysan, pourvu qu’ils fussent braves et honnêtes. Lui-même avait autrefois joué à la balle et fait la chasse aux nids avec les fermiers qu’il rencontrait aux assemblées de la paroisse, avec les laboureurs qui cultivaient leurs champs, et ainsi avaient fait avant lui son père et son grand-père. C’est pourquoi il encouragea Tom dans son intimité avec les enfans du village, et la protégea de tout son pouvoir en leur donnant tout un enclos pour s’ébattre, et en leur fournissant une belle provision de balles et de ballons. » J’ai cité ce passage sans en rien omettre, parce qu’il exprime bien la nature des opinions de l’auteur lui-même. Le jeune Brown est le digne fils de l’honnête squire. Je n’oserais pas dire qu’il soit d’un torysme aussi pur ; mais si les opinions du squire ont subi une transformation en passant à travers son esprit, la substance est restée la même et n’a pas été altérée. Tom Brown est un Anglais de la vieille école, qui regrette les vieilles mœurs et avertit ses contemporains qu’ils doivent y revenir sous peine des plus grands malheurs. Il a la plus grande pitié pour-les jeunes gentlemen qui vont passer leurs vacances sur le continent au lieu de visiter les vallées et les montagnes de leur île, qui deviennent de mauvais cosmopolites et non de solides Anglais ; il a le plus parfait dédain pour les jeunes misses anglaises qui font de « mauvaise musique étrangère au lieu de faire de bons fromages anglais. » Dans ce perpétuel déplacement des corps et des âmes, dans ces habitudes cosmopolites, dans ces prétendus raffinemens de l’éducation, dans cet abandon des mœurs locales et des plaisirs nationaux, il voit non un progrès, mais une décadence. Lorsque les riches ne partagent plus les plaisirs du peuple, le sentiment de