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les vaches de son village ; mais il ne reçut pour réponse qu’un de ses sourires renfrognés.

« Ce ne fut qu’au moment de partir, et lorsque le vieux cheval Dobbin était déjà harnaché, que Benjamin se hasarda à parler de nouveau de son rhumatisme, en détaillant un à un tous les symptômes de la maladie. Pauvre bon vieux ! Il espérait que le fermier lui donnerait un charme qui ferait disparaître son rhumatisme aussi promptement que la verrue de Tom, il était tout disposé à mettre avec une foi aveugle une autre verge dans sa poche pour la guérison de ses futures attaques. Le sorcier secoua la tête, néanmoins il prit une bouteille et la mit dans la main de Benjamin, en l’accompagnant d’instructions sur le moyen d’employer le contenu. — Cela ne te fera pas grand bien, je le crains, dit-il ; je ne connais qu’une chose qui puisse guérir du rhumatisme les vieilles gens comme toi et moi.

« — Et quel est-il, ce remède, fermier ? demanda Benjamin.

« — La terre du cimetière, répondit le vieillard avec un de ses sourires moroses.

« Alors ils se dirent adieu et se séparèrent. La verrue de Tom eut disparu au bout d’une quinzaine ; mais il n’en fut pas de même du rhumatisme de Benjamin, qui de plus en plus le tira par les talons… »

Cette éducation rustique avait admirablement préparé Tom à recevoir l’éducation des écoles publiques anglaises. Habitué aux exercices physiques, il n’aurait pas besoin d’apprentissage ; il pourrait prendre part dès le premier jour aux parties de ballon, rendre et au besoin donner un solide coup de poing. Aussi accueillit-il avec une joie marquée la nouvelle que son père se disposait à l’envoyer à l’école publique de Rugby, alors sous la direction du docteur Arnold, moins célèbre encore par ses ouvragés historiques que par l’influence qu’il a Elle sur les nouvelles générations de l’Angleterre. Il partit heureux et fier, se sentant déjà presqu’un homme après avoir donné une bonne poignée de main a son père, car il était convenu entre eux qu’on supprimerait le baiser paternel comme trop humiliant pour son âge. Avant son départ, le squire ne l’ennuya pas de sentences hors de propos et de morale pédantesque. « Mon fils, lui dit-il simplement, souvenez-vous qu’à votre demande vous allez entrer plus tôt que nous ne l’aurions voulu dans cette grande école. Vous n’aurez personne que vous pour vous protéger, et vous devrez prendre à votre charge tous vos petits soucis. Si les écoles sont ce qu’elles étaient de mon temps, vous verrez bien des lâchetés et même des cruautés, vous entendrez bien de vilains et sales discours ; mais n’ayez aucune crainte. Dites la vérité, gardez un bon et brave cœur, n’écoutez et ne dites jamais rien que vous ne voudriez pas laisser entendre à votre mère et à votre sœur, et vous ne craindrez jamais de venir à la maison, comme nous ne craindrons jamais de vous voir. »