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des petits, ils doivent sous leur responsabilité veiller à leur conduite, les guider, les conseiller, les aider dans leurs travaux ; les plus jeunes en retour doivent être les serviteurs obéissans de leurs mentors ; ils sont leurs fags[1], en d’autres termes leurs domestiques, leurs petits grooms. Cette domesticité n’a rien de bien assujettissant ni de bien avilissant, et une observation attentive de la nature de l’enfant justifie cette coutume, qui au premier abord paraît choquante. Les enfans aiment à obéir à leurs aînés ; il semble que cette obéissance les grandisse à leurs propres yeux et leur donne plus d’importance. Les enfans ont hâte d’arriver à l’âge de leurs aînés : l’obéissance leur procure, grâce à l’imagination, la réalisation illusoire de ce désir. Se mêler des affaires d’un compagnon plus âgé, regarder ses livres, pénétrer dans son étude, c’est déjà vivre de la même vie que lui, partager les mêmes pensées. D’ailleurs il est bon que ceux qui auront à commander un jour commencent par obéir : c’est la meilleure école d’égalité. Il est bon que les enfans sachent de bonne heure que la vie est une alternative d’obéissance et de commandement, que le monde n’est pas composé d’une part de Robinsons, et d’autre part de Vendredis, mais que le même homme, selon les temps et les circonstances, est alternativement Robinson et Vendredi. Les fags deviendront prœpostors à leur tour, et exigeront les mêmes services qu’ils ont rendus. L’office du fag n’est pas bien pénible, et j’imagine que la plupart des enfans de nos collèges l’accepteraient volontiers, si en retour on les délivrait de la tyrannie du maître d’études, et qu’on leur donnât la liberté de courir la campagne. Le fag est obligé par exemple de descendre chercher de l’eau si la provision se trouve insuffisante, pour la toilette du matin ; il porte le souper des aînés, nettoie leurs chandeliers, met leurs pupitres en ordre, fait leurs commissions : c’est une obligation à laquelle personne ne peut se soustraire, et qu’il faut subir bon gré, mal gré.

Les élèves de la sixième division avaient seuls à Rugby le droit d’exiger de leurs collègues le fagging service ; mais à Rugby comme ailleurs la liberté peut engendrer la licence, et conduire soit à l’anarchie, soit au despotisme. Les élèves de la cinquième division s’avisèrent de s’arroger les droits de leurs supérieurs. Pourquoi n’auraient-ils pas aussi leurs fags ? Quelle différence les séparait des élèves de la sixième division ? Ils avaient à peu près le même âge, ils avaient à peu près la même force, et ils le feraient bien voir. S’ils n’avaient pas le droit d’exiger ce service, ils en avaient au

  1. Fags, souffre-douleurs, expression trop énergique dérivée du verbe to fag, travailler, piocher.