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crottés, leurs vêtemens en lambeaux, et furent conduits immédiatement devant le docteur. Le docteur ferma les yeux pour cette fois, et, au lieu de gronder, les reçut avec une aménité toute paternelle. « Eh bien ! mes petits enfans, qu’est-ce qui vous fait rentrer si tard ? Et comme vous voilà faits ! vous n’êtes pas blessés, je suppose ? C’est bien, allez changer de toilette, et dites qu’on vous donne à souper. Vous êtes trop jeunes pour faire d’aussi longues courses. Faites savoir à Warner que je vous ai vus. Bonne nuit, mes enfans. » Les nombreuses visites que Tom eut par la suite à faire au docteur n’eurent pas précisément le même caractère. Une fois il fut surpris pêchant à la ligne dans un endroit défendu, et conduit triomphalement au docteur par un garde champêtre. Une autre fois il était mandé pour avoir dérangé les aiguilles de l’horloge du collège. Une autre fois enfin, contre la défense expresse du docteur, il était allé visiter une grande foire qui se tenait dans la ville. Il avait été fouetté pour ces divers méfaits ; mais cette punition sévère ne parvenait pas à le corriger. Dieu sait où il serait allé dans cette voie fâcheuse, si un jour il n’eût entendu le docteur se plaindre vivement de sa conduite à un de ses maîtres, et menacer de le renvoyer dans le cas où il ne se corrigerait point. « Je le ferai à contre-cœur, car c’est au fond un brave petit garçon ; mais il n’a pas le sentiment de ce qu’il doit faire, et je ne sais comment le lui donner. — Je crois, répondit le maître, que si on lui donnait quelque petit garçon à protéger, cela le rendrait beaucoup moins turbulent. — Oui, dit le docteur, j’y réfléchirai. »

On lui donna en effet un petit garçon à protéger, et ici nous touchons à la seule objection peut-être qu’on puisse raisonnablement faire au système de l’éducation anglaise. Cette éducation est sans doute excellente pour la grande majorité des enfans ; mais que deviendront au milieu de cette liberté excessive et de ces mœurs violentes les enfans d’un caractère timide et d’un esprit contemplatif ? Ces esprits impressionnables que blesse la moindre piqûre, qui répugnent à l’action, seront les jouets de leurs camarades, ils seront écrasés par la brutalité de la force, de telle sorte que ce système sacrifiera les natures les plus fines et les plus précieuses aux natures les plus grossières et les plus communes. L’objection a sa portée, je n’en disconviens pas ; cependant il est assez facile de trouver une réponse. C’est à l’autorité supérieure, au directeur du collège, de prévenir le mal, et il le peut aisément. L’éducation libre de l’école permet à toutes les énergies de l’enfance de se développer ; c’est au directeur de savoir utiliser ces énergies au profit du bien. Tel était précisément le système du docteur Arnold, et tous les reproches assez légers d’ailleurs qui lui ont été adressés viennent échouer et