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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/383

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ne voyons pas assez familièrement l’illustre docteur ; c’est à peine si nous l’apercevons une fois en pleine lumière. Nous ne sommes pas assez instruits de ses projets, de ses opinions, de ses plans de réforme, des innovations qu’il a introduites dans le système de l’éducation anglaise. Les souvenirs de Tom Brown n’ajoutent pas grand’-chose à ce que nous savions du gouvernement du docteur Arnold à Rugby. Une seule fois nous voyons réellement sa discipline à l’œuvre ; c’est lorsqu’il confère à Tom la protection du jeune Arthur. Il est vrai que Tom Brown peut répondre et même répond pour son excuse qu’il a vécu à Rugby dans les premières années du gouvernement du docteur, avant que ses réformes eussent pris racine, et lorsque les vieilles coutumes des écoles anglaises dominaient encore dans le collège. « Depuis, ces réformes, dit-il, ont porté leurs fruits, et la vie des écoles n’est plus ce qu’elle était. » Le docteur Arnold aurait donc réussi dans son grand projet, qui consistait à christianiser l’éducation publique, et à faire non-seulement comme autrefois des gentlemen, mais des gentlemen chrétiens. Dans quelle mesure cependant a-t-il réussi ? L’éducation publique anglaise a-t-elle perdu en vigueur ce qu’elle a gagné en moralité et en raffinement ? Si les mœurs des écoles n’ont plus la même brutalité, ont-elles la même force ? Voilà ce que nous voudrions savoir, et sur quoi Tom Brown nous renseigne d’une manière fort insuffisante. Quoi qu’il en soit, ce livre est une preuve nouvelle de la vénération et de l’admiration singulières que le docteur Arnold avait su inspirer à tous ses élèves. On peut dire que ce sont les élèves du docteur Arnold qui ont fait l’a fortune de son nom, Celui qui voudrait mesurer le degré d’influence de cet homme illustre devrait interroger non les livres qu’il a laissés, mais les écrits et les actes des nouvelles générations qui ont été formées par lui.

Il y a plus qu’une leçon morale, il y a une leçon politique à tirer de ce livre. Nous l’avons dit en commençant, il est inutile de discuter à priori sur le mérite relatif des divers systèmes d’éducation. Un système d’éducation dont la liberté est la base, dont l’indiscipline, la rudesse et même la brutalité sont les conditions naturelles et inévitables, répugnerait sans doute chez nous à bien des esprits et soulèverait bien des scrupules. Les tendres mères frémiraient pour la santé de leurs enfans, les pères s’effraieraient de leur indiscipline. Notre manière de comprendre l’éducation ressemble un peu à la manière dont le XVIIe siècle comprenait la nature. Nous élevons les enfans avec un sentiment de tendresse égoïste ; nous les élevons non pour eux et pour la société dans laquelle ils devront vivre, mais pour nous, pour l’ornement de notre foyer et pour le plaisir de nos yeux. La sauvagerie naturelle à l’enfant nous déplaît et nous alarme,