Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« loyal sujet » de sa majesté britannique ne pouvait parler sans indignation de la chute de Parga (10 mai 1819), il n’est pas difficile d’imaginer quelle fut la colère des Ioniens. Peut-être cette impression se serait-elle affaiblie avec le temps ; mais l’insurrection nationale de 1821 ne tarda pas à rendre encore plus difficile la position du lord haut-commissaire. Un Français[1], qui s’arrêta à Corfou en 1820, fut étonné de trouver les Corfiotes si préoccupés des affaires de la Grèce. « Ils appelaient de tous leurs vœux l’insurrection de la Hellade. Ce nom, tombé en désuétude, se retrouvait dans toutes les bouches ; tous parlaient de Hellade, de patrie, d’autels à restaurer, et les espérances populaires des chrétiens, tournées vers la Russie, adressaient au ciel de ferventes prières en le suppliant d’éclairer l’empereur Alexandre, qu’ils nommaient leur autocrate orthodoxe. Une famille puissante dans le conseil de Pétersbourg, celle du comte Capodistrias, laissait soupçonner aux chrétiens, pair son attitude mystérieuse, que son souverain veillait sur leurs destinées. » Cette observation curieuse d’un voyageur qui n’avait pas plus de goût pour les Russes que pour les Anglais jette un jour très vif sur la situation des Iles-Ioniennes à cette époque critique. Oubliant que, par le traité de 1800, Alexandre avait sacrifié les quatre derniers cantons libres de la Grèce, et qu’il avait laissé accomplir sans la moindre réclamation la vente de Parga, les insulaires s’exposaient par d’imprudentes manifestations à toute la rancune du lord haut-commissaire. Il était donc assez naturel que Maitland, qui n’a jamais compris la pétulance des caractères méridionaux ni tenu compte des exagérations de leur parole, ne vît plus dans ceux qui faisaient des vœux pour l’indépendance de la Grèce que des émissaires de Capodistrias. D’un autre côté, les Ioniens, longtemps sujets de Venise si hostile aux Turcs, devaient avoir quelque peine à comprendre qu’un état chrétien comme l’Angleterre préférât l’intégrité de l’empire ottoman à la cause pour laquelle les soldats de Richard Cœur-de-Lion avaient versé le plus pur de leur sang. Les Anglais n’envisageaient dans cette question que les intérêts de l’équilibre européen ; les habitans des Sept-Iles, restés fidèles à la politique des croisés et des Vénitiens, accusaient la conduite des protecteurs de machiavélisme et d’impiété.

Quoique Maitland n’ignorât pas de quel côté étaient les sympathies des Ioniens, il voulait du moins les empêcher d’éclater. Une police organisée comme celle qui, au temps de la domination vénitienne, maintenait l’heptarchie dans une soumission absolue, fut chargée de surveiller tous les mouvemens des insulaires. Aucune lettre, aucun journal ne circulait dans les îles avant d’avoir passé

  1. H. Pouqueville, frère du consul.