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albanaise de Delvino, dont elle est séparée par un étroit bras de mer d’environ deux lieues de largeur ; elle regarde à l’ouest le canal et la terre d’Otranto. La figure de l’île est à peu près triangulaire ; la circonférence est d’environ soixante lieues ; du nord au sud, la longueur peut être de vingt lieues, et de l’est à l’ouest, la plus grande largeur de dix lieues. Elle n’offre pas de grandes ressources à l’agriculture à cause des montagnes et des collines dont elle est couverte. Quelques plaines de peu d’étendue pourraient dédommager les Corfiotes par leur fertilité, si l’irrigation y était plus facile ; mais le Mensogni et le Potamo ne fournissent point aux cultivateurs l’eau nécessaire pour combattre la sécheresse. En outre, leur indolence est entretenue par un climat singulièrement variable malgré sa douceur, climat qui fatigue les organisations les plus solides. Du soufre, du marbre d’une qualité inférieure, d’assez mauvais charbon de terre, quelques salines d’un produit médiocre, constituent, avec le blé, le vin et l’olive, les principales productions de l’île. Quand on dit que les habitans de Corfou sont aussi pauvres que le sol est riche, on donne une idée trop favorable du territoire et trop désavantageuse de ceux qui le cultivent. Avec des procédés agricoles plus avancés, les Corfiotes seraient assurément dans une meilleure situation ; pourtant on n’obtiendra jamais de leurs plaines resserrées par les monts les trésors que contient l’inépuisable territoire de la Valachie, et les montagnes de Corfou n’auront jamais dans leurs flancs les innombrables minéraux des Karpathes.

Si l’on excepte Corfou, on ne trouve que des villages dans l’île. Aucune cité ne donne mieux par sa physionomie une idée des nombreuses révolutions que ce pays a subies. L’esplanade et le palais du lord haut-commissaire forment une ville anglaise. La ville grecque, avec ses hautes maisons et ses étroites arcades, rappelle au voyageur qu’il est sur une terre hellénique. Le quartier juif, hideux de saleté, prouve que la tolérance britannique a été impuissante à donner aux Hébreux le goût du comfortable. Les Italiens, qui se pressent dans les rues, mêlés aux Maltais, sujets de l’Angleterre, sont un souvenir vivant de la domination vénitienne. L’allure dégagée des jeunes filles qui sourient de leur fenêtre constate assez que les vives et gracieuses Corfiotes ne sont pas disposées à perdre l’indépendance que Venise leur a conquise, et que les traditions du gynécée sont bien oubliées dans la vieille Corcyre. Des soldats, habillés de blanc et coiffés d’un chapeau de paille, marchandent d’énormes melons, des citrons, des prunes et des raisins dont la grosseur atteste la puissance du soleil méridional. Si Corfou n’est pas encore une ville occidentale, si l’on trouve dans ses faubourgs des traces d’une incurie héréditaire, on ne peut cependant s’empêcher de jeter un