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Sannazar est celui qui a le mieux réussi à associer l’élégance au naturel. Chez tous les autres, la combinaison peu homogène du ton de la pastorale antique et de l’esprit de galanterie moderne produisit immédiatement une foule de bergeries empreintes du même caractère artificiel et forcé qui se remarque dans l’Astrée. Traduit dans toutes les langues, le petit volume de Sannazar, qui est un mélange de prose et de vers, suscita partout des imitations. Au goût des romans chevaleresques, qui subsistait encore, vint se joindre un goût très vif pour des tableaux d’un genre bien différent, et qui plaisaient d’autant plus qu’ils tranchaient davantage avec les agitations et les fureurs du temps. Ce sentiment, qui explique en partie la vogue du genre pastoral au XVIe siècle, est très naïvement rendu par le premier traducteur français de l’Arcadie, Jehan Martin, qui, dans la préface de sa traduction, publiée en 1544, s’exprime ainsi : « J’ay fiance que plusieurs gentilshommes et dames vivant noblement, et autres de moindre qualité, feront à cette traduction assez bon recueil, veu mesmement qu’elle ne traite guerres, batailles, bruslemens, ruines de pays, ou telles cruautés énormes dont le récit cause à toutes gens horreur, compassion et mélancolie, réservé (excepté) aux ministres de Mars, qui ne se délectent qu’en fer, feu, rapines, et subversions des lois divines et humaines. »

Sous l’influence de l’Arcadie, le genre pastoral revêt les formes les plus variées. En Italie, on voit naître la pastorale dramatique en cinq actes et en vers avec l’Aminta, du Tasse, et le Pastor fido, de Guarini, dont la comparaison suscite de nombreuses polémiques ; — en Espagne et en Angleterre, la pastorale romanesque, mélangée de prose et de vers, avec Montemayor et Sidney. La pastorale s’introduit même dans l’Amadis, accessoirement il est vrai, mais enfin il y a au neuvième livre un épisode où le chevalier Florisel de Niquée échange sa lance contre une houlette, et se fait berger pour plaire à la belle Sylvie, jeune princesse élevée par des bergers, et qui ignore sa naissance. C’est cet épisode qui a sans doute inspiré plus tard à Cervantes l’idée de la transformation de don Quichotte en berger.

En France, le goût de la pastorale n’est pas moins répandu que dans les autres pays de l’Europe. Ronsard et ses disciples riment à l’envi des bucoliques dont la forme, calquée sur les vers de Virgile, offre parfois une certaine élégance quand l’imitation est réussie, mais dont le fond est essentiellement, dépourvu de naturel quoique les bergères s’y nomment : Margot et Toinon, les bergers Perret et Michau. En dehors de l’école de Ronsard, on voit le genre pastoral s’appliquer à tout et s’employer à tout propos. Ainsi un très, mauvais historien du commencement du XVIe siècle, Jehan Lemaire de Belges, qui n’en a pas moins joui d’une certaine réputation dans son