Boileau, qui n’est pas suspect d’engouement pour l’Astrée, signale dans ce roman « une narration également vive et fleurie, des fictions très ingénieuses et des caractères aussi finement imaginés qu’agréablement variés et bien suivis. » Il ajoute que « ce roman fut fort estimé, même des gens du goût le plus exquis[1]. »
C’est peut-être en s’appuyant de ce jugement que Perrault poussa l’audace jusqu’à dire plus tard, au grand scandale de Boileau, « qu’il y a dix fois plus d’invention dans l’Astrée que dans l’Iliade[2]. » Perrault se laissait ici aveugler par son rôle de défenseur des modernes. Il y a certainement de la variété dans les inventions de d’Urfé, mais ces inventions sont délayées en cinq gros volumes de mille à treize cents pages chacun, tandis qu’un seul chant de l’Iliade, le sixième par exemple, qui n’a que cinq cent trente vers, nous offre à lui seul une diversité de scènes, de sentimens, de situations et de figures qu’on chercherait en vain dans cinq cents pages de l’Astrée.
La prolixité est le défaut capital du roman de d’Urfé. On en pourra juger sur une fidèle esquisse de l’épisode principal, qui, réduit à sa plus simple expression, ne brille ni par l’habileté, ni par la variété ou la puissance des combinaisons dramatiques destinées à exciter l’émotion du lecteur. Il faut noter cependant, dès le début de l’Astrée, un certain progrès dans l’entrée en matière et la mise en scène. Les romans antérieurs débutent d’ordinaire par la généalogie des principaux personnages, et à la manière des contes de fées. « Peu de temps après la passion de notre Sauveur Jésus-Christ, il fut un roi de la Petite-Bretaigne, nommé Garinter,… » voilà le début de l’Amadis. Celui de l’Astrée est moins élémentaire. Après une courte et agréable description du Forez, où se passe l’action du roman, et sur laquelle nous reviendrons, l’auteur nous met immédiatement en présence d’un jeune et beau berger, Céladon, et d’une jeune et belle bergère, Astrée, qui, tout en s’aimant d’un amour aussi délicat que tendre, sont occupés à se quereller sur les bords de la rivière du Lignon. Abusée par les faux rapports d’un rival, Astrée croit que Céladon la trompe et qu’il a offert son cœur à une autre bergère ; elle l’accable des reproches les plus amers, et lui ordonne de ne plus jamais se présenter devant ses yeux. Le berger, innocent