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bruit, attendent avec anxiété l’explication de ce phénomène. Peu à peu le brouillard se dissipe, et l’on voit apparaître au sommet de la fontaine, sur Il une pyramide de porphyre, un amour tout brillant de clarté. » Aux quatre coins de la fontaine sont les animaux changés en marbre, et sur le gazon les deux couples d’amans toujours endormis. Le dieu d’amour tient des tablettes sur lesquelles est écrit l’ordre d’emporter les amans endormis et de venir le lendemain consulter l’oracle. On emporte les deux bergers et les deux bergères, qui se réveillent très agréablement dans la maison du druide Adamas. Le lendemain, le dieu d’amour ordonne que Céladon épousera enfin Astrée : après une dernière scène fantasmagorique dont nous faisons grâce au lecteur, et qui a pour but d’amener la reconnaissance du berger Sylvandre comme fils d’Adamas, ce berger obtient également la main de Diane. La merveilleuse fontaine, étant désenchantée, permet à tous les autres épisodes d’amour entamés dans les volumes précédens de trouver leur conclusion dans la vertu de ses eaux. Chaque amant vient successivement vérifier qu’il est aimé autant qu’il aime, et de nombreux mariages sont la conséquence de cette vérification.


III

Tel est le principal épisode de l’Astrée ; on ne comprendrait pas qu’il ait pu remplir cinq gros volumes, si l’on oubliait qu’il est lié tant bien que mal à une quarantaine d’autres épisodes, dont quelques-uns offrent un peu plus d’intérêt au point de vue dramatique. Il faut avouer pourtant que, sous ce rapport, le roman de d’Urfé, pris dans son ensemble, a perdu beaucoup de son charme, et ne peut plus guère émouvoir nos cœurs endurcis. Cette sentimentalité douceâtre, combinée avec un reste de sorcellerie, convenait à des générations qui, au sortir des légendes chevaleresques, se précipitaient avec ardeur vers des jouissances intellectuelles plus raffinées, et qui ne s’effrayaient encore ni de la fadeur, ni de la diffusion, ni de l’invraisemblance, pourvu que ces défauts fussent compensés par des observations ingénieuses et d’agréables subtilités. Néanmoins, s’il est vrai que l’Astrée, considérée soit dans son genre en tant que composition pastorale, soit dans sa structure en tant que fiction romanesque, nous intéresse médiocrement, il n’en est plus de même si l’on considère cet ouvrage sous plusieurs autres aspects.

Sous le rapport du style, le roman de d’Urfé est l’ouvrage en prose peut-être le plus remarquable et certainement le plus goûté qui ait paru durant le premier quart du XVIIe siècle, c’est-à-dire pendant la période qui précède la publication des premières lettres