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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/470

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Florus de Coeffeteau, qui parut en 1621, et qui fut plus tard, on le sait, élevée par Vaugelas à l’état d’autorité suprême en fait de style, on pourrait signaler un assez grand nombre d’ouvrages en prose qui tous concoururent à préparer dans notre pays la fondation d’une langue littéraire définitive et la même pour tous, tandis que jusqu’alors, comme on l’a très bien remarqué, il y avait presque autant de langues diverses que d’auteurs[1]. Ce qui est certain néanmoins, c’est que parmi tous les écrivains, de cette époque de transition, nul n’a joui d’une célébrité égale à celle de d’Urfé, et n’a par conséquent contribué autant que lui à répandre parmi toutes les classes de lecteurs le goût d’un style qui n’est encore ni le bon, ni le grand style, mais qui y conduit. Du reste, l’impression de nouveauté, sous ce rapport et sous plusieurs autres, que produisait l’Astrée nous semble très nettement constatée par un des plus savans et des plus aimables survivans du XVIe siècle, par le vieux Etienne Pasquier, qui existait encore au moment où parut le roman de d’Urfé. Après avoir autrefois, dans ses Recherches sur la France, exprimé une opinion analogue à celle du cardinal Du Perron, qui pensait que la langue française était arrivée à son plus haut point de perfection avec Montaigne et Ronsard, et ne pouvait plus que décroître, Pasquier, en lisant l’Astrée, semble se dégager beaucoup de l’admiration du passé et augurer bien mieux de l’avenir, car voici ce qu’il répond à d’Urfé, qui lui avait envoyé le premier volume de son roman : « Mes enfans, ai-je dit à mes livres, il est meshuy temps que sonnions la retraite, nous sommes d’un autre monde. Ce je ne sais

  1. Voyez les Mélanges de littérature ancienne et moderne de M. Patin, page 187. — Parmi ces prosateurs dont l’étude n’appartient point à notre sujet, il en est un dont nous éprouvons le besoin de citer un très beau passage, parce que son mérite comme poète a peut-être fait trop oublier les qualités de sa prose : c’est Malherbe, dont les traductions, et particulièrement les lettres, offrent à chaque instant, à côté d’expressions et de tours surannés, des formes de style aussi heureuses que nouvelles, et qui sont restées. Est-il un seul écrivain du XVIe siècle, même parmi ceux qui, à force de génie, ont rencontré de ces tours qui ne vieillissent plus, auquel on puisse emprunter dix lignes de suite d’une facture aussi nette, aussi élégante, aussi ferme, aussi dégagée de toute superfétation enfin aussi moderne que ce passage d’une lettre de Malherbe adressée à M. de Terme sur la mort de son fils ? « La durée de notre vie est courte ou longue, comme il plaît à celui qui nous la donne. Tantôt il arrache le fruit en sa verdeur » tantôt il en attend la maturité, tantôt il le laisse pourrir sur l’arbre ; mais, quoi qu’il fasse, les créatures doivent cette submission à leur Créateur de croire qu’il ne fait rien que justement. Il n’offense ni ceux qu’il prend jeunes, ni ceux qu’il laisse devenir vieux. De demander pourquoi il fait les choses avec cette diversité, c’est une question dont peut-être nous serons éclaircis quand nous serons en lieu où la lumière sera plus grande. Pour cette heure, nous sommes dans les ténèbres, qui nous rendent nos curiosités inutiles. Il y a des sondes pour les abîmes de la mer ; il n’y en a point pour les secrets de Dieu. » Ces lignes, écrites en 1613, ne pourraient-elles pas être intercalées presque sans disparate dans une page de Pascal ou de Bossuet ?