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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/481

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jamais le sentiment qu’elle éprouve pour lui. Cette double révélation le remplit à la fois de tristesse et de joie. « Il se retira, dit d’Urfé, vers ses compagnons aussi doucement qu’il en était parti, et ayant repris sa place et regardé si quelqu’un de ces bergers ne veillait point, et trouvant qu’ils étaient tous profondément endormis, il se mit à la renverse, et les yeux en haut, il considérait à travers l’épaisseur des arbres les étoiles qui paraissaient et les diverses chimères qui se forment dans la nue ; mais il n’y en avait point tant, ni de si diverses, que celles que les discours qu’il venait d’ouïr lui mettaient en la pensée, achetant par là bien chèrement le plaisir qu’il avait eu de savoir que sa Diane l’aimait, étant en doute s’il était plus obligé à sa curiosité, qui lui avait fait avoir cette connaissance, que désobligé pour avoir appris la cruelle résolution qu’elle avait faite. Cette imagination fut débattue en son âme fort longtemps. Enfin Amour par pitié lui permit de clore les yeux et y laissa couler le sommeil, pour enchanter en quelque sorte ses fâcheuses incertitudes[1]. » Ce rapprochement entre les perplexités de Sylvandre et les diverses chimères qui se forment dans la nue ne renferme-t-il pas déjà comme en germe toute une série d’inspirations analogues qui de nos jours ont produit de si belles pages en prose ou en vers ?

À ces divers mérites de l’Astrée il faut en joindre encore un autre dont la mention fera peut-être sourire dédaigneusement quelque pédant en us qui n’admet pas qu’un peu de savoir puisse s’allier à un peu d’agrément. L’homme de cour qui se plaisait à faire disserter les bergers du Lignon sur des pointes d’aiguille était en même temps un homme très érudit, et son roman indique des lectures nombreuses, des notions très variées, et souvent très justes. Il est heureux pour nous qu’en énonçant cette énormité, nous puissions nous abriter derrière l’opinion d’un homme dont le goût n’est pas toujours sûr, mais dont l’érudition est néanmoins incontestable. « J’ai toujours jugé, dit le savant évêque d’Avranches, Huet, que l’érudition dont M. d’Urfé a embelli son Astrée faisait une très considérable partie du mérite de l’ouvrage par l’adroite variété de l’utile et de l’agréable qui le met si fort au-dessus des romans vulgaires, uniquement renfermés dans les bornes de la galanterie. » Sans parler ici des nombreux emprunts que l’auteur de l’Astrée fait aux philosophes et aux poètes de l’antiquité grecque et latine, et particulièrement à Platon, dont le spiritualisme est en quelque sorte répandu dans tous les discours du druide Adamas, il y a dans ce roman toute une partie historique dont il faut dire un mot. En mettant sur

  1. Astrée, t. II, p. 468.