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nables, au lieu de les préparer et de les conduire aux solutions pacifiques par des discussions libres, sincères et modérées ? Si, à la faveur de la liberté tolérée, il nous est permis de réclamer cette liberté supérieure qui est à la fois la sauvegarde des intérêts et la consécration de la justice, nous ne croyons pas pouvoir en conscience manquer à cette occasion et à ce devoir. Le succès est difficile et douteux, dira-t-on ; soit. La responsabilité de l’échec ne retombera pas du moins sur ceux qui auront tenté un généreux effort.

C’est dans ces pensées que nous avons accueilli avec satisfaction les premiers adoucissemens apportés par M. Delangle dans l’administration intérieure, et que nous avons prêté une attention bienveillante aux tendances libérales manifestées par une portion, malheureusement trop circonscrite, de la presse gouvernementale. Cette pointe légère de libéralisme était digne de remarque, car c’est pour la première fois depuis six ans qu’elle est apparue sur le fond stérile et terne de ce journalisme qui importune le pouvoir de sa fade obséquiosité. Nous n’avons point été les seuls que ce symptôme ait frappés : des organes de la presse libérale ont pris acte de l’appel qui était fait à des manifestations plus libres de l’opinion ; mais ici s’élevait tout naturellement une question décisive. — Est-il permis de convier l’opinion à de plus libres allures ? est-il permis de l’inviter à reprendre dans la presse un mouvement indépendant et régulier, sans modifier les conditions faites à la presse par le décret de 1852 ? Soit que l’on considère la date de ce décret ou que l’on en examine les dispositions, on est autorisé à croire qu’il ne pouvait être dans la pensée du gouvernement qu’une mesure temporaire. D’un côté, en effet, il appartient à la période dictatoriale qui a précédé l’application de la constitution ; de l’autre, il place les journaux sous la juridiction administrative et les soumet, pour des délits dont la définition est laissée à l’appréciation accidentelle de l’autorité, à des pénalités qui les exposent à la suppression et à la destruction des propriétés qu’ils représentent. Une législation si exceptionnelle et si éloignée de l’esprit général de nos codes ne saurait avoir le caractère d’une loi permanente. Il n’est pas nécessaire en France d’expliquer la compression qu’a exercée sur les journaux ce rigoureux régime : cette compression a été accrue, au-delà sans doute des prévisions du gouvernement, par les craintes mêmes qu’elle inspirait aux intérêts de propriété engagés dans l’exploitation des feuilles périodiques. De là l’atonie où est fatalement tombée la presse française, de là le discrédit qu’elle rencontre à l’étranger. Un mot suffira pour donner une idée de ce discrédit : les journaux de Vienne reprochent aux journaux français, et souvent, nous sommes forcés d’en convenir, avec autant d’à-propos que d’esprit, leur dépendance et leur nullité. N’est-il pas dur pour l’opinion française que ses organes soient ainsi devenus des objets de dérision ou de pitié pour la presse de la libérale Autriche ?… Il y a dans cette humiliation quelque chose d’affligeant pour les esprits élevés. La presse a été une des plus patriotiques défenses et une des gloires de notre pays. Autant, plus peut-être qu’aucune autre profession, elle a fourni à la France des serviteurs dévoués et des hommes d’état illustres. Il est des temps où le rôle des généraux, des ingénieurs, des administrateurs, paraît être plus utile que