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de la situation de l’Espagne, rien ne semblait conduire à cette brusque solution qui vient d’éclater à Madrid. Toutes les apparences étaient contre le retour du général O’Donnell aux affaires. Sur quoi pouvait s’appuyer le comte de Lucena ? Dans la presse, il compte peu de défenseurs ; dans les chambres, il a plus d’adversaires que d’amis. Il y a quelques mois, le général Calonge était élu secrétaire du sénat : son plus grand titre était d’avoir proposé l’an dernier une motion qui équivalait à une condamnation rétrospective de l’insurrection militaire de 1854. Au commencement de la dernière session, il suffisait que le cabinet Armero-Mon parût se rapprocher du général O’Donnell et de ses amis pour que la majorité du congrès le renversât aussitôt par un vote d’opposition qui portait à la présidence M. Bravo Murillo. Et cependant le général O’Donnell est aujourd’hui au pouvoir. A-t-il dû ce retour de fortune à des influences étrangères à la politique ? On l’a dit, de même qu’on assure que cette combinaison, qui vient de triompher, se préparait depuis plusieurs mois au milieu des distractions des fêtes et de la confusion des partis. On a fait peur à la reine d’une réaction qui atteindrait peut-être jusqu’à l’indépendance de son pouvoir ; la reine s’est rejetée vers un cabinet qui se présente sans doute comme libéral, mais dont il n’est pas encore possible de préciser le caractère. Lorsque le général O’Donnell, après deux ans d’une temporisation habile et presque héroïque, livrait bataille à la révolution en 1856, il représentait une réaction énergique de l’esprit conservateur. En rompant avec les progressistes révolutionnaires, il avait pour lui tous les modérés, qui reconnaissaient en lui l’instrument vigoureux d’une restauration nécessaire. Aujourd’hui le comte de Lucena a contre lui toutes les fractions du parti modéré. Lorsque la première nécessité serait de rallier en faisceau toutes les forces conservatrices, le cabinet qui vient de naître semble venir pour précipiter la décomposition de ce parti.

Le général O’Donnell n’est que depuis quelques jours au pouvoir, et déjà il montre une activité singulière, au moins pour la distribution des emplois. Tous les chefs d’administration sont remplacés, toutes les fonctions militaires et civiles passent entre les mains des amis et même des créatures du comte de Lucena. O’Donnell vient de placer à Barcelone et à Valence deux de ses compagnons du soulèvement de 1854, les généraux Dulce et Echagüe. La dissolution du congrès est naturellement une des mesures indiquées dans la situation, et pour les élections qui se feront de nouvelles listes vont être préparées. On dît même que le nouveau cabinet serait disposé à remettre en question les arrangemens conclus par les précédens ministères avec Rome. Tous ces actes constitueraient assurément une situation nouvelle, et le général O’Donnell pourra bien rencontrer devant lui la majorité du parti conservateur. Or, si le cabinet nouveau ne puise pas sa force dans le parti modéré, va t-il se rapprocher des progressistes ? Si cette évolution nouvelle se réalisait, le général O’Donnell serait sans doute abandonné par quelques-uns des collègues qu’il s’est donnés. La situation, comme on voit, devient extrêmement périlleuse, et sous l’apparence de ce calme qui ne s’est point démenti depuis quelque temps en Espagne, il y a des perturbations profondes de plus d’une nature. Le parti modéré peut voir maintenant où l’ont conduit ses divisions et ses rivalités : s’il n’a pas perdu le pouvoir, il peut être tout près de le perdre. Ces divisions et ces rivalités favorisent sans doute jus-