Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de misère et d’attente je me placerai honorablement. Si tu veux me suivre, suis-moi ; je t’aiderai de tout mon pouvoir à faire comme moi, c’est-à-dire à travailler pour vivre honnêtement.

« Guido parut si bien décidé et si bien converti, que je ne me défendis plus de l’attrait de son intimité. J’avais pourtant bien remarqué qu’il n’y a souvent rien de plus aimable qu’une franche canaille, et que les caractères les plus sociables sont parfois ceux qui manquent le plus de dignité ; mais il y a en nous un sot amour-propre qui nous fait croire à notre influence sur ces malheureux esprits-là, et quand ils nous prennent pour dupes, c’est aussi bien notre faute que la leur.

« Tous ces préliminaires étaient inévitables pour vous raconter sans autre réflexion ce qui va suivre.

« Il s’agissait donc de quitter l’Italie, c’est-à-dire défaire quelques centaines de lieues sans un denier en poche. Je promis à Guido d’en trouver le moyen, et le priai de me laisser seulement quelques jours de repos pour guérir ma blessure, qui s’envenimait cruellement. — Cherche ta vie en attendant, lui dis-je ; je resterai là, avec un pain, dans un trou de rocher, auprès d’une source. C’est tout ce qu’il faut à un homme qui a la fièvre. Donnons-nous rendez-vous quelque part ; je t’y joindrai quand je pourrai marcher. — Il refusa de me quitter, et se fit mon pourvoyeur et mon garde-malade avec tant de zèle et de soins ingénieux pour conjurer la souffrance et la misère, que je ne pus me défendre d’une sincère reconnaissance. Trois jours après, j’étais sur pied, et j’avais réfléchi.

« Voici le résultat de mes réflexions. Nous n’avions rien de mieux à faire que de montrer les marionnettes. Seulement il fallait rendre le métier plus lucratif et moins vulgaire. Il fallait sortir de l’éternel drame de Pulcinella, et improviser à deux, sur des canevas tout aussi simples, mais moins rebattus, des saynètes divertissantes. Guido avait plus d’esprit qu’il n’en fallait pour cet exercice, et, au lieu de s’y livrer avec ennui et dégoût, il comprit qu’avec moi il y trouverait du plaisir, puisque c’est une règle générale qu’on n’amuse pas les autres quand on s’ennuie soi-même. En conséquence il m’aida à faire un théâtre portatif en deux parties, dont chacune nous servait en quelque sorte d’étui pour marcher à couvert du soleil, de la pluie et des alguazils, et qui, en se rejoignant au moyen de quelques crochets, formaient une scène assez large pour le développement de nos deux paires de mains. Je transformai en figurines intelligentes et bien costumées ses ignobles burattini, j’y ajoutai une douzaine de personnages nouveaux que je confectionnai moi-même, et nous fîmes en plein vent, dans des solitudes agrestes, l’essai de notre nouveau théâtre.