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j’avais acheté de mes derniers écus le petit coin de terre bénie où j’avais déposé leurs restes.

« Enfin je la trouvai à tâtons, cette humble pierre ; je m’assis auprès, et, étant mon masque d’arlequin, j’y pleurai en liberté. J’y restai une partie de la nuit, absorbé dans mes réflexions, et voulant, avant de m’éloigner probablement pour toujours, résumer ma vie, me repentir de mes erreurs et prendre de bonnes résolutions. — La grâce divine n’est pas une illusion, monsieur Goefle. Je ne sais pas à quel point vous êtes luthérien, et, quant à moi, je ne me pique pas d’être grand catholique. Nous vivons dans un temps où personne ne croit à grand’chose, si ce n’est à la nécessité et au devoir de la tolérance ; mais moi je crois vaguement à l’âme du monde, qu’on l’appelle comme on voudra, à une grande âme, toute d’amour et de bonté, qui reçoit nos pleurs et nos aspirations. Les philosophes d’aujourd’hui disent que c’est une platitude de s’imaginer que l’Être des êtres daignera s’occuper de vermisseaux de notre espèce ; moi, je dis qu’il n’y a rien de petit et rien de grand devant celui qui est tout, et que, dans un océan d’amour, il y aura toujours de la place pour recueillir avec bonté une pauvre petite larme humaine.

« Je fis donc mon examen de conscience sur cette tombe, car il me semblait que, dans cette pluie de douce lumière dont me baignaient les étoiles tranquilles, mes Goffredi, mon père et ma mère par le cœur, pouvaient bien aussi trouver un petit rayon pour me voir et me bénir. Je ne sentais pas de crime, pas de honte, pas de lâcheté ni d’impiété entre eux et moi ; je ne les avais jamais oubliés un seul jour, et au milieu de mes enivremens, lorsque le démon de la jeunesse et de la curiosité m’avait poussé vers les abîmes de ce monde vicieux et incrédule, je m’étais défendu et sauvé en invoquant le souvenir de Silvio et de Sofia.

« Mais ce n’était pas assez d’avoir évité le mal, il eût fallu faire le bien. Le bien est une œuvre relative à la position et à la capacité de chacun de nous. Mon devoir, à moi, eût été de reprendre les travaux de Silvio Goffredi, et de me mettre à même, par mon économie, d’écrire et de publier les résultats de ses recherches. Pour cela, il eût fallu trouver moyen d’acquérir quelque fortune afin de compléter ses voyages. J’y avais songé d’abord, et puis l’inexpérience, les sens et le mauvais exemple m’avaient entraîné à vivre au jour le jour comme un aventurier. Cette vie d’aventures m’avait en somme mené à ma perte. Si je fusse resté à la place qui convenait à un modeste professeur, je n’eusse pas été forcé de tuer Marco Melfi. Il n’eût pas songé à m’insulter, il ne m’eût pas même rencontré dans les salons du cardinal ; il ne fût pas venu me chercher dans mon cabinet de travail, au milieu de mes livres ; il n’eût seulement