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— Ou plutôt par bonté pour moi, monsieur Goefle !

— Par amitié, si vous voulez, vous me plaisez ; mais je mentirais si je disais que ce que nous faisons là m’ennuie. Au contraire, il me semble que cela va me divertir énormément. D’abord la pièce est charmante, comique au possible et attendrissante par momens. Vous avez bien fait de l’arranger de manière à éviter toute allusion. Allons, Christian, il faut répéter ; nous n’avons plus qu’une demi-heure. Dépêchons-nous. Sommes-nous bien enfermés ici ? Personne ne peut-il nous voir ni nous entendre ?

Christian dut empêcher M. Goefle de fatiguer sa voix et de dépenser sa verve à la répétition. Les scènes étant indiquées en quelques mots sur la pancarte, il suffisait d’échanger deux ou trois répliques pour tenir le fond de la situation sur laquelle on improviserait devant le public. Il s’agissait de bien placer les acteurs dans l’ordre voulu, sur la planchette de débarras, pour les reprendre sans se tromper lorsqu’on aurait à les faire paraître, de les présenter alternativement sur la scène en convenant du motif de leurs entrées et de leurs sorties comme de la substance de leur entretien, et de laisser le dialogue et les incidens à l’inspiration du moment. M. Goefle était le plus charmant et le plus intelligent compère que Christian eût jamais rencontré ; aussi fut-il électrisé par son concours, et quand il entendit sonner huit heures, il se sentit dans une disposition de verve et de gaieté qu’il n’avait pas éprouvée depuis le temps où il jouait avec Massarelli, alors si aimable et si séduisant. Ce souvenir gâté et flétri lui causa un moment de mélancolie, qu’il secoua vite en disant à M. Goefle : — Allons ! j’entends la galerie se remplir de monde ; à l’œuvre, et bonne chance, cher confrère !

En ce moment, on frappa à la porte du fond, et on entendit la voix de Johan, le majordome, demander maître Christian Waldo.

— Pardon, monsieur, on n’entre pas, s’écria Christian. Dites ce que vous avez à dire à travers la porte. J’écoute.

Johan répondit que Christian eût à se tenir prêt lorsqu’il entendrait frapper trois coups à la porte de la galerie, laquelle s’ouvrirait pour donner passage à son théâtre.

Ceci convenu, il s’écoula bien encore un bon quart d’heure avant que les dames eussent trouvé chacune la place qui lui convenait pour étaler ses paniers et ses grâces et pour se trouver dans le voisinage du cavalier qui lui était agréable ou en vue de ceux à qui elle voulait le paraître. Christian, habitué à ces façons, arrangeait tranquillement sur une table les rafraîchissemens qu’il avait trouvés dans le petit salon, et qui devaient au besoin éclaircir la voix de son compère et la sienne dans l’entr’acte. Puis il s’installa avec