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sentait le jeune homme timide et tremblant, vous me soignez mal ! Encore de l’opium, je parie ?

— Monsieur le baron a besoin de calmans. Son irritation nerveuse est extrême.

— Pardieu ! je le sais bien, mais calmez-moi sans m’abattre ; ôtez-moi ce tremblement convulsif et ne me retirez pas mes forces.

Le malade demandait l’impossible. Le médecin n’osait pas le lui dire. — J’espère, reprit-il, que cette potion vous tranquillisera sans vous affaiblir.

— Voyons, agira-t-elle vite ? Je voudrais dormir deux ou trois heures, me relever et m’occuper de mes affaires. Me répondez-vous que dans le courant de la nuit j’aurai mes facultés ?

— Monsieur le baron, vous me désespérez ! Vous voulez encore travailler cette nuit après la crise d’hier et celle d’aujourd’hui ? Vous avez un régime impossible.

— N’ai-je pas une force exceptionnelle ? ne m’avez-vous pas dit cent fois que vous me guéririez ? Vous m’avez donc trompé ? vous vous moquez donc de moi ?

— Ah ! dit le médecin avec un accent de détresse, pouvez-vous le croire ?

— Eh bien ! donnez-la, votre potion. Va-t-elle agir tout de suite ?

— Dans un quart d’heure, si vous n’en détruisez pas l’effet par votre agitation.

— Donnez-moi ma montre, là, à côté de moi. Je veux voir si vous êtes sûr de l’effet de vos drogues.

Le baron avala la potion, et, assis dans son grand fauteuil, il sonna son valet de chambre : — Dis au major Larrson que je le prie de diriger la course. C’est lui qui s’y entend le mieux. — Le valet sortit. Le baron le rappela presque aussitôt. — Que Johan se couche, dit-il, et qu’il dorme vite. À trois heures du matin, j’aurai besoin de lui. C’est lui qui viendra me réveiller. Va-t’en, non ! reviens. J’irai à la chasse demain, toutes les mesures sont-elles prises ? oui ? c’est bien. Va-t’en tout à fait.

Le valet sortit définitivement, et le jeune médecin, toujours fort ému, resta seul avec son malade.

— Votre potion n’opère pas du tout, lui dit celui-ci avec impatience, je devrais déjà être endormi !

— Tant que monsieur le baron se tourmentera de mille détails…

— Eh ! morbleu, monsieur, si je n’avais pas de tourmens dans l’esprit, je n’aurais pas besoin de médecin ! Voyons, asseyez-vous là et causons tranquillement.

— Si, au lieu de causer, monsieur le baron pouvait se recueillir…

— Me recueillir ! Je ne me recueille que trop. C’est la réflexion qui me donne la fièvre. Causons, causons, comme la nuit dernière.