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dressé dans la journée par ordre du baron, lequel, n’ignorant pas le surnom dont on l’avait gratifié, avait narquoisement promis aux dames la surprise de son portrait sur la cime du tumulus. La grossièreté de l’œuvre était en harmonie avec la sauvagerie du site et la tradition de ces idoles à grosse tête et à court sayon raboteux qui représentent Thor, le Jupiter Scandinave, élevant son marteau redoutable au-dessus de son front couronné.

L’aspect de ce colosse blanc, qui semblait flotter dans le vide, était prestigieux, et personne ne regretta d’avoir bravé le froid de la nuit pour jouir d’un spectacle aussi étrange. L’aurore boréale était pâle, et luttait d’ailleurs contre l’éclat de la lune ; mais ces alternatives de nuances diverses, ces recrudescences et ces défaillances de lumière qui caractérisent le phénomène, n’en donnaient pas moins au paysage une incertitude de formes et un chatoiement de reflets qu’il faut renoncer à décrire. Christian croyait rêver, et il répétait à chaque instant à M. Goefle que cette étrange nature, malgré ses rigueurs, parlait à l’imagination plus que tout ce qu’il avait vu dans ses voyages.

La course était lancée, quand les deux amis la rejoignirent et la suivirent en flanc pour n’en pas troubler l’ordre nécessaire. La glace avait été explorée, et le chemin, tracé par des torches colossales, contournait les pointes de rochers et les îlots plantés de sapins et de bouleaux qui parsemaient la surface du lac. Une volée de riches traîneaux, placés sur quatre de front, fuyaient comme des flèches en maintenant exactement leurs distances, grâce à l’habileté des conducteurs et à la fidélité des chevaux.

À l’approche du rivage où s’élevait le högar, le lac, plus profond, offrait une surface parfaitement plane et libre d’obstacles. Là, tous les traîneaux s’arrêtèrent, se placèrent en demi-cercle, et les jeunes gens qui devaient se disputer le prix s’écartèrent sur une seule ligne en attendant le signal. Les dames et les hommes graves sortirent de leurs véhicules et montèrent sur un îlot préparé à cet effet, c’est-à-dire jonché de branches de pin, pour juger, sans se trop geler les pieds, des prouesses des concurrens. La scène était parfaitement éclairée par un grand feu allumé sur les rochers, derrière l’estrade naturelle où se tenait l’assistance.

Le tableau que présentait cette assemblée était aussi bizarre que le lieu qui lui servait de cadre. Tout le monde était masqué, circonstance agréable pour chacun en raison du froid qui soufflait au visage. Les costumes étaient, par la même raison, lourds et chargés de fourrures, ce qui n’excluait pas un grand luxe de dorures, de broderies et d’armes étincelantes. Les coureurs étaient bien en vue sur de légers traîneaux découverts qui représentaient divers animaux fantastiques, de gigantesques cygnes d’argent à bec d’or