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Epuisées faute d’occupations lucratives, ne se conservant même plus par le droit d’aînesse, les grandes fortunes ne peuvent soutenir à l’extérieur un éclat illusoire qu’au prix de l’économie intérieure la plus âpre. L’amour-propre déplacé, la vanité chez les uns, une fausse honte chez les autres, ont interverti au détriment de la dignité humaine les rôles du nécessaire et du superflu.


I. — HAUTE-ITALIE. — IRRIGATIONS, CULTURE PASTORALE.

Lorsque l’on entre en Italie par la route de la Corniche, on trouve une nature qui serait aride et sèche, avec ses oliviers, ses amandiers, ses quelques palmiers, sans la verdure des orangers et des citronniers. La Provence prépare du reste le voyageur à cette teinte grise, à cette robe fanée par la poussière, brûlée par le soleil. Quelques parties au contraire, abritées contre les vents, rafraîchies par les brises de la mer, offrent l’aspect d’un printemps perpétuel. Dans ces lieux pourtant, où tout respire la joie, la santé, le bonheur, on ne voit que de pâles visages, des existences débiles et maladives, qui fuient devant la mort, et qui espèrent se faire oublier par elle. La Corniche cesse à Gênes ; on peut en ce point traverser les Apennins en chemin de fer par le col de la Bocchetta, qui débouche sur le versant sud du bassin du Pô. L’aspect change alors : au lieu de la mer encadrée entre des montagnes sèches et nues, on a devant soi une vaste plaine toute verte, entourée par les Alpes majestueusement couvertes de neige. Cette plaine, où tant de fois la cause de l’Italie a été mise enjeu, où abondent pour nous tant de glorieux et tristes souvenirs, cette plaine est aussi un des théâtres où l’homme, dans un de ses momens de paix et de raison, entre deux batailles, a su le mieux mettre à profit les facultés dont il est doué pour assurer son bien-être, tout en laissant un pas immense entre les progrès opérés dans l’art de se détruire et ceux que nous offre la science de se conserver.

Les deux rives du Pô présentent des caractères assez différens. La rive gauche est la plus riche; les affluens du versant nord, nourris l’hiver par les pluies, l’été par la fonte des neiges, ont un cours dont la régularité est encore assurée par des lacs qui forment des réservoirs à la fois modérateurs et alimentaires. Les affluens du versant sud, d’un parcours moins long, descendent des Apennins, qui leur fournissent moins d’eau en été; de plus, privés de lacs, ils présentent tous le caractère torrentiel, un vaste lit irrégulier, au milieu duquel serpente le plus souvent un léger filet d’eau qui se perd entre les galets. Les pluies sont rares dans cette partie des Apennins, mais elles y sont fort violentes. Une cause contribue encore à rendre l’écoulement des eaux rapide et soudain : c’est l’ab-