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La voie tracée par le censeur Appius Claudius atteste que les Romains de la république s’étaient occupés du dessèchement des Marais-Pontins, du moins dans la partie supérieure; car, arrivée au point nommé tertre Ponti, la voie Appia quittait le sol de moins en moins ferme des marais, se détournait vers le contre-fort des Apennins, et en suivait les accidens jusqu’à Terracine. Pie VI (il faut arriver jusqu’en 1775 pour trouver un pape s’occupant de la salubrité des Marais-Pontins) compléta la direction rectiligne de la voie en lui faisant suivre la rive droite de son canal de dessèchement. La voie Appia, continuée actuellement par la voie Pia, est une belle avenue de 40 kilomètres de parcours, plantée dans toute sa longueur d’une double rangée d’ormes superbes, bordée çà et Là de fermes que les habitans, dès que la moisson est faite, désertent jusqu’aux semailles. Ce qui n’est pas un petit sujet d’étonnement, c’est de rencontrer des guérites de cantonnier, des écuries de poste d’un caractère monumental, décorées surtout de splendides plaques de marbre destinées à porter, dans un latin équivoque, les noms des bienfaiteurs des marais jusqu’à la postérité la plus éloignée. Il faut avoir été dans les états du saint-siège pour se faire une idée du nombre, de l’abus de ces plaques de marbre en tous lieux, en toutes occasions. C’est une tradition des consuls et des tribuns. En regardant de bien près dans les goûts, les mœurs, dans la pratique du culte au temps actuel, combien ne trouve-t-on pas d’inspirations romaines? A propos de ces plaques commémoratives, un pape, dans les temps les plus récens, a fait apposer aux loges du Vatican un tardif vitrage pour protéger les fresques de Raphaël, qui, quelques années plus tard, eussent été dans un état à se passer de toute protection; eh bien ! il a dû se conformer aux usages, et de majestueuses lettres dorées apprennent quelle est la sainteté à la munificence de qui sont dues les vitres. Je dois à la vérité de dire que la légende n’ajoute pas, en façon de post-scriptum : « Qui cassera paiera. »

Les desséchemens, dirigés sous Pie VI par l’ingénieur Rapini, peuvent se ramener à deux opérations distinctes. On a écarté d’abord par des canaux d’enceinte les eaux extérieures apportées par les torrens. On a ensuite pratiqué, suivant l’axe naturel d’écoulement du marais ainsi isolé, un canal d’une section telle que les eaux de pluie et de sources qu’il est destiné à emmener ne dépassent jamais le niveau de ses rives, et se tiennent même à 50 centimètres au moins en dessous, afin de recevoir les saignées transversales. Rapini se rapprocha autant qu’il lui fut possible de cette conception générale, plus facile à énoncer du reste que commode à exécuter; mais son énergie et sa persévérance eurent à combattre des obstacles de toute sorte : embarras administratifs, pénurie du trésor, ré-