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il comprit qu’il s’agissait de l’éducation morale et matérielle de plus du tiers de la population totale de l’empire, et il envisagea l’augmentation du bénéfice matériel comme une conséquence du progrès de la moralité et de la civilisation de la population rurale. De cette manière seulement, le résultat pouvait être sérieux; c’était beaucoup que de bien poser les termes du problème et de ne pas songer à brusquer les solutions. On essaya donc de stimuler l’activité du paysan en lui promettant une protection plus efficace contre les abus, et en relevant son esprit par l’enseignement, par l’encouragement et par l’assistance matérielle.

L’administration des domaines de l’empire, dans sa forme nouvelle, est divisée en quatre degrés : administration centrale, administration provinciale, administration d’arrondissement, administration locale ou communale. L’administration centrale ou ministère des domaines compte quatre départemens : celui des trente-neuf gouvernemens de la Russie centrale; celui des dix-huit départemens des provinces de la Baltique, de la Russie-Blanche, de l’ouest et des provinces transcaucasiennes; le département agronomique, dont les attributions embrassent l’amélioration de l’économie rurale, le cadastre et les écoles; enfin le département des forêts. Dans chaque département, on a institué une chambre des domaines (palata), formée d’un président et de trois conseillers chargés des terres, des forêts et du contrôle. A chaque membre de la palata sont adjoints un assesseur et un employé pour des missions spéciales, un employé des forêts, un ingénieur civil, deux arpenteurs avec leurs aides, et un procureur pour les affaires judiciaires du domaine et de ses paysans. Dans chaque arrondissement, un chef est préposé aux terres et aux paysans des domaines. L’administration locale est confiée aux communes; le chiffre de quinze cents âmes forme le minimum d’une circonscription communale (selskoïe obschestvo); plusieurs communes forment un canton (volost); plusieurs volosis forment un arrondissement soumis à l’autorité d’un okroujnoï-natschalnik, agent supérieur qui appartient à la septième ou huitième classe des employés civils[1]. Chaque village a pour chef le starosta (l’ancien), qu’il nomme pour l’année. Celui-ci est assisté par des élus (dessiatski), désignés chacun à la majorité par dix pères de famille. Les petits villages ne possè-

  1. La hiérarchie du tchin (rang) compte quatorze degrés : elle embrasse en dehors de la noblesse héréditaire tous ceux qui forment la population privilégiée de l’état, et qui peuvent revendiquer un droit quelconque. Un diplomate russe disait un jour à Vienne que s’il avait un conseil à donner à sa majesté l’empereur, ce serait d’élever tous les paysans russes à la quatorzième classe. Les étrangers ne comprenant pas la plaisanterie, on leur expliqua que c’était un moyen très simple de garantir les paysans des coups de bâton (Tourguenef, t. II, p. 89). Le tableau des rangs a été dressé par Pierre le Grand; la dernière classe comprend les sous-lieutenans de l’armée et les employés civils subalternes. En dehors du tchin on est confondu avec les masses, on ne fait plus partie de la nation officielle ou légale, on forme la base muette de la triste pyramide. Comment le travail agricole et le labeur industriel ne souffriraient-ils pas d’un pareil régime, qui ne laisse aucune récompense à l’activité individuelle, et qui tend à absorber toutes les intelligences dans le service public?