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électif et communal. Néanmoins les intentions de l’empereur et l’intelligente activité du comte Kisselef ont en grande partie échoué : c’est que le principe du pouvoir absolu favorise les plus tristes déviations; nulle part la volonté du souverain n’est en réalité plus mal obéie que dans les pays où la vérité a tant de peine à se faire jour. La règle est rigide et la pratique molle, ou bien une prévoyance trop minutieuse dégénère en tutelle et paralyse les efforts individuels, sans parler des funestes résultats qu’amène la corruption des fonctionnaires.

Les précautions semblaient bien prises et les garanties paraissaient complètes; mais les paysans de la couronne ont trop souvent éprouvé que ces garanties n’existaient que sur le papier; trop souvent cet appareil administratif et judiciaire n’aboutit qu’à une déception. On a spirituellement nommé la Russie officielle l’empire des façades. — Arrivé sur le rivage de la Souhona, opposé à la ville de Velikii-Oustioug, M. de Haxthausen vit se dérouler devant lui un panorama imposant. Assis de l’autre côté de la rivière, plus large en cet endroit que le Rhin à Cologne, s’étendait sur un espace de plus de deux kilomètres Velikii-Oustioug, reflété par les eaux, avec ses innombrables coupoles dorées, ses tours et ses clochetons resplendissans au soleil. Mais entre ces dehors brillans et l’intérieur de la ville quel contraste ! Le rivage seul était orné de belles maisons de pierre, à plusieurs étages, avec des colonnes et des balcons; derrière cette rangée trompeuse, on ne trouvait que maisonnettes en bois, jardins et cours, entourés d’un mur en planches, places désertes ou servant de pâturages. — On est souvent exposé, en Russie, à de pareilles surprises; l’indépendance de la commune rurale ressemble, en grande partie, à la splendeur de Velikii-Oustioug.

Des créations nombreuses ont eu pour but de faire pénétrer au milieu des communes rurales l’enseignement, l’esprit de prévoyance et les rudimens du crédit. Qu’on ne se laisse point séduire toutefois par la pompe des dénominations employées et qu’on ne s’étonne pas de l’échelle restreinte sur laquelle fonctionnent ces établissemens nouveaux. Ils recèlent un germe de progrès, voilà tout : pour que ce germe se développe, il faut autre chose que la volonté du pouvoir; il faut que la population puisse avoir des vues d’avenir et une certaine indépendance d’action; les règlemens à eux seuls n’ont jamais rien créé. Des écoles ont été par exemple établies dans les communes, l’enseignement confié aux membres du clergé est gratuit; mais que peut-on attendre des popes (prêtres du rite grec orthodoxe), dont l’ignorance et la mauvaise conduite ne sont que trop générales? Formée par de tels instituteurs, la population reste plongée dans un état de véritable enfance intellectuelle, et pourrait-on s’en