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nant non aux différens membres dont se compose la commune, mais à l’unité collective, représentée par tous les paysans. Chaque individu mâle a le droit de réclamer pour sa part l’usufruit d’une quantité de terre égale à celle des autres membres. Les forêts, les pâturages, les droits de chasse et de pêche, ne pouvant être soumis au partage, restent indivis et livrés à l’usage de tous; mais les champs ou la terre labourable sont effectivement partagés. Quel moyen emploie la commune pour attribuer avec justice les terres labourables, d’une valeur si différente, selon le plus ou moins de fertilité du sol et la proximité du village? La difficulté est grande; le paysan russe est cependant parvenu à l’aplanir d’une manière satisfaisante. Chaque commune a ses arpenteurs, gens de tradition et d’expérience, qui remplissent ces fonctions avec intelligence et au contentement de tous. Ils partagent la totalité du bien en plusieurs grandes divisions, homogènes par leur valeur, qu’on subdivise en autant de lots que la commune a de membres, et qu’on distribue par la voie du sort[1]. »

Mais quand M. de Haxthausen ajoute : « Le principe du partage égal et par tête découle du plus ancien principe du droit des Slaves, savoir l’indivisibilité du bien de la famille et la division de l’usufruit, » il se trompe, et son erreur, partagée par la plupart des écrivains qui ont traité cette matière, est d’autant plus singulière, qu’homme instruit et versé dans les antiquités du droit de son propre pays, il y aurait facilement retrouvé le même principe et les mêmes procédés. Ils constituent un trait commun des époques inférieures de la civilisation. En Allemagne, en Angleterre, en Danemark, la commune était propriétaire, et le cultivateur simplement usufruitier. La maison, la cour et le jardin entraient seuls véritablement dans la propriété privée (un fait analogue se rencontre en Russie); la terre arable et les pâturages se trouvaient cantonnés en autant de parts que l’exigeaient la nature et la situation des terrains, le danger de l’inondation et tout ce qui influait sur la classification du sol sous le rapport agronomique. Chaque canton se subdivisait en bandes étroites, aboutissant toutes au chemin qui conduisait au village, et dont le nombre correspondait à celui des membres de la commune, de manière à ce que chacun pût obtenir une égale étendue de terrain rapproché et éloigné, de bonne et de

  1. Dans le gouvernement de Jaroslaf par exemple, on trouve encore dans beaucoup de communes des perches, révélées comme des mesures sacrées d’arpentage. La longueur de ces bâtons est en raison inverse de la qualité de la terre, de sorte que le bâton le plus court correspond à la meilleure terre; un autre, un peu plus long, indique une qualité inférieure, et ainsi de suite jusqu’au plus long, qui est le signe du terrain le plus mauvais. Tous les lots sont ainsi inégaux en grandeur, et par là même égaux en valeur.