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Quelques années plus tard, le jeune garçon était devenu un brave marin à bord d’un vaisseau de guerre ; il courait les mers pour y payer de sa personne, et comme père au moins Browne eut occasion d’essayer la valeur de son stoïcisme. « J’honore tout homme qui méprise la mort, avait-il écrit dans sa Religio, et je ne puis pas avoir une haute affection pour celui qui en aurait peur : c’est pourquoi j’aime naturellement un soldat, et j’honore ces régimens déguenillés qui sont prêts à se faire tuer au commandement d’un sergent. » Les lettres au jeune marin me semblent noblement soutenir cette profession de foi. Dans l’une d’elles, il le loue de continuer à lire son Lucain, où il y a, dit-il, de nobles accens, qui sont faits pour remuer les âmes généreuses ; mais à propos d’un passage que lui avait cité son fils, et où il s’agissait probablement de suicide, il ne peut s’empêcher d’adresser à Dieu ses ardentes prières pour qu’il le délivre d’une telle tentation.


« Il n’y a pas de déshonneur, continue-t-il, à être fait prisonnier par une force supérieure et écrasante après une brave défense ; il n’y en a qu’à se laisser surprendre imprudemment ou à faire une faible résistance. Et vous avez trop bonne mémoire pour avoir oublié maint accident de ce genre dans les vies des plus dignes capitaines de votre bien-aimé Plutarque. Le ciel vous a donné un cœur résolu, mais généreux et pitoyable ; depuis votre naissance, vous n’avez jamais pu voir une personne dans la souffrance sans vous attendrir et sans éprouver le désir de la soulager. Vous avez ainsi jeté une bonne fondation pour la miséricorde de Dieu, et si un pareil malheur vous arrivait, il se souviendrait miséricordieusement de vous. Quoi qu’il advienne, que Dieu, qui vous a amené dans ce monde à son heure, vous conduise à travers ce monde, et qu’à son heure il vous en fasse sortir sans que vous ayez marché dans les voies qui lui déplaisent ! — Quand vous serez à Calais, voyez si vous pouvez vous procurer une boîte de la poudre des jésuites (du quinquina). Informez-vous plus amplement à Tanger de l’eau minérale qui était près de la ville, et dont beaucoup faisaient usage. Prenez note des plantes que vous pourrez rencontrer tant sur la côte d’Espagne que sur celle d’Afrique, et si vous ne les connaissez pas, mettez-en quelques feuilles dans un livre… »

« Quand vous vous décidâtes pour votre carrière, écrit-il une autre fois, vous ne pouvez manquer de vous rappeler que je vous fis lire la description de tous les combats de mer mémorables qui sont dans Plutarque, dans l’histoire turque et ailleurs, et qu’en outre je vous donnai la définition de la force d’âme telle que l’a laissée Aristote : Fortitudinis est inconcussum δύσπλεκτον a mortis metu et intrepidum ad percula esse, et malle honeste mori quam turpiter servari et victoriæ causam præstare. Præterea autem fortitudinis est laborare et tolerare. Accedit autem fortitndini audacia et animi præstantia et fducia, et confidentia, ad hæc industria et tolerantia. Ce que je vous présentais alors comme un modèle, je vous l’envoie maintenant comme une récompense ; car, pour vous donner ce qui vous revient, durant tout le cours de cette guerre, dans les combats comme dans les autres