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cause! Bien des choses, et des choses excellentes dans l’ordre de l’esprit, sont jeunes dans le monde; mais il n’en est pas ainsi de l’ordre moral : ici rien n’est à inventer ni à découvrir. En morale, le vieux, c’est le vrai ; car le vieux, c’est l’honneur; le vieux, c’est la liberté. Ce n’est pas du reste sans raison que M. de Sacy aime le passé : il ne l’a connu que par la meilleure de ses traditions. L’illustre Silvestre de Sacy, père de notre publiciste, appartenait à cette société pour laquelle le nom de jansénisme était moins le signe d’une dissidence dogmatique que l’indice d’une profession de gravité et de religion austère. Les plus charmantes pages du livre de M. de Sacy sont, selon moi, celles qu’il a consacrées au souvenir de ce monde vénérable au milieu duquel il a passé sa jeunesse, et dont il est parmi nous le dernier survivant. « Comme ils représentaient bien, dit-il en parlant de deux respectables libraires chers aux bibliophiles[1], comme ils représentaient bien cette vieille bourgeoisie de Paris, enrichie par un honorable commerce, ces familles qui se transmettaient la même profession de père en fils comme une noblesse, avec le magasin souvent noir et enfumé de l’aïeul et l’antique enseigne, armoirie qui en valait bien une autre! Quelle franche et gracieuse bonhomie éclatait dans leur accueil! quel air de candeur et de loyauté parfaite était peint sur leur visage! Le bon vieux temps respirait en eux tout entier. Point de prétention, point de morgue; rien qui sentît dans leurs manières l’humilité du gain ou l’orgueil de la fortune acquise. Ils étaient heureux, autant qu’on peut l’être en ce monde, par la douce et paisible uniformité de leur vie, par une union qui ne s’est pas démentie un seul jour, par le bonheur qu’ils répandaient autour d’eux... Ah ! si c’étaient là en effet les bonnes gens d’autrefois, j’avoue qu’autrefois valait mieux qu’aujourd’hui. L’esprit de famille, hélas! serait-il au nombre des vieilleries féodales que nous avons abolies?.. Je ne sais si c’est parce que je deviens vieux moi-même, mais il me semble que les hommes que j’ai connus dans ma jeunesse avaient une originalité de physionomie et un piquant de caractère qu’on ne retrouve plus aujourd’hui. J’ai vu toute l’ancienne Académie des Inscriptions. Sans faire tort à personne, on aurait de la peine à en composer une pareille maintenant, je le crois du moins. Dieu et la nouvelle Académie me pardonnent, si je me trompe! Ce qu’il y a de sûr, c’est que les printemps et les étés étaient plus beaux dans ce temps-là qu’ils ne le sont aujourd’hui. Qui dira le contraire en a menti. Pourquoi les savans ne se ressentiraient-ils pas de l’universelle décadence? »

  1. MM. De Bure.