Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/701

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raiso. Cette réunion de forces permettait d’ailleurs aux deux amiraux de détacher sans inconvénient une couple de croiseurs sur les côtes de Californie, pendant qu’eux-mêmes se dirigeraient vers les possessions russes avec le reste de l’escadre. La crainte de voir inquiéter notre commerce préoccupait en effet de nouveau plus que de raison les deux commandans, par suite de bruits peu fondés de corsaires ennemis. En somme, on le voit, la campagne ne commençait réellement qu’à cette date du 25 juillet, puisqu’alors seulement on se dirigeait définitivement vers ces établissemens russes du nord dont nous avions jusque-là si peu entendu parler.


II.

Lorsqu’en jetant les yeux sur une mappemonde, on compare la péninsule du Kamtchatka et les îles britanniques, ce n’est pas sans étonnement que l’on constate entre les deux pays une analogie de situation géographique et une presque égalité de superficie. Ils n’ont du reste aucun autre point de ressemblance. D’une part, en effet, les innombrables vaisseaux du plus riche commerce maritime du globe et vingt-cinq millions d’hommes nourris par les produits d’un sol fertile; de l’autre, une terre ingrate, ensevelie sous les neiges pendant huit mois de l’année, et ne suffisant pas même aux besoins de quelques milliers d’habitans qui y vivent misérablement. Deux degrés d’élévation dans le pôle suffisent à changer la jurisprudence, a dit Pascal; ici, sans différence de latitude, car les deux pays sont compris entre les mêmes parallèles, il a suffi de ces vents d’ouest, dont la féconde humidité est la providence de notre Europe occidentale, pour donner la richesse et l’abondance là où ils arrivent imprégnés des vapeurs de l’Atlantique, et pour amener au contraire une perpétuelle stérilité là où ils arrivent desséchés par leur passage sur les plaines sibériennes. L’histoire de ce pauvre pays ne remonte du reste pas bien haut, et ses premiers conquérans se réduisent à une petite troupe de seize Cosaques qui, détachée d’un poste militaire entretenu par les Russes sur l’Anadyr, pénétra en 1696, sous le commandement d’un certain Semenof Morosko, jusqu’au centre de la presqu’île. Après plusieurs autres expéditions, la soumission fut complète en 1711. Toutefois il fallut que le célèbre Behring vînt révéler le voisinage des côtes d’Amérique dans ces voyages où il périt littéralement de froid et de misère; il fallut surtout découvrir la remarquable chaîne des îles Aleutiennes, qui relie les deux continens, pour que l’on arrivât à connaître l’importance du commerce de pelleteries auquel ces pays pouvaient donner naissance. A quel prix fut fondé ce commerce? C’est ce que l’on a peine à comprendre aujourd’hui. Il faut lire dans les ouvrages de Pallas, de Coxe, de Wrangell, les récits