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jusqu’à nos jours, l’esthétique germanique rappelle Diderot, si elle ne l’imite pas.

Quant au baron d’Holbach, j’avouerai que je n’ai pas lu le Système de la Nature, et je ne prévois pas que je le lise jamais. Pourtant ce que j’en sais me porte à croire que c’est après tout le meilleur traité d’athéisme qui existe chez les modernes. Voltaire, à très bonne intention, l’a fort décrié, et grâce à lui, d’Holbach a perdu des lecteurs; mais Voltaire n’a pas empêché que le Système de la Nature ne prît une certaine autorité de par le monde. Les athées de la Grande-Bretagne et de l’Amérique en font grand cas et le traduisent. Lord Brougham, qui l’a énergiquement réfuté, en parle avec une estime relative[1]. Enfin la pensée générale du livre s’est retrouvée d’une manière assez inattendue dans les transformations dernières de la philosophie allemande, et plus d’un disciple de Hegel a été forcé de se contenter des argumens qui charmaient en 1780 quelques salons de Paris pour prêter des conclusions positives à la dialectique transcendante de l’idéalisme absolu.

Cette dernière circonstance donne de l’à-propos à l’ouvrage de M. Damiron. En réfutant les erreurs d’une autre époque, il combat certains écarts de la nôtre. La France envoyait autrefois à Potsdam des paradoxes que la Prusse lui renvoie. La philosophie du dernier siècle, dans ceux du moins chez qui M. Damiron l’a poursuivie, respire, on n’en peut disconvenir, un air d’athéisme. Il faut bien prononcer ce mot si grave pour n’être pas au-dessous de la vérité. Le scepticisme de d’Alembert ne va pas jusqu’à la négation de Dieu, mais il ne la prohibe pas formellement. Quant aux autres, si la Divinité n’est pas toujours mise à néant dans leurs écrits, de telles difficultés y sont élevées sur sa nature ou sur son action que l’être nécessaire y devient problématique; du moins son existence y est-elle donnée comme indifférente à l’humanité. On dirait, en explorant cette partie du monde philosophique, que ce que Platon nommait l’idée du divin a fui les intelligences de la terre pour remonter aux cieux.

Un autre caractère (je ne sais s’il ne choque pas davantage encore) se fait remarquer dans presque tous les écrits de ces sectateurs secondaires du naturalisme philosophique : c’est une liberté singulière en ce qui touche la morale. Il faut encore excepter soigneusement d’Alembert de l’accusation; mais si la pratique du mal n’est pas prêchée en thèse dans la plupart des livres qui nous occupent, on ne saurait y méconnaître un relâchement de principes, un laisser-aller de pensée ou d’expression qui nous surprend fort au-

  1. Free Enquirer’s family library, New-York 183C. — Lord Brougham, Disc, on Nat. Theol., not. IV.