Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/753

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

licence effrénée du moyen âge, pouvait malaisément porter les insignes d’une sévère morale. Sans doute la société s’est régularisée de siècle en siècle, et les désordres les plus grossiers, les vices les plus audacieux ont disparu avec le temps. La cour de Louis XV même valait mieux que celle des Valois; mais la faiblesse diminuait peu à peu les caractères, la légèreté amollissait les mœurs; les institutions ne protégeaient ni la force des uns, ni la dignité des autres. La défense des traditions, qu’on aurait voulu rendre sacrées, les compromettait par une évidente mauvaise foi, par les artifices trop clairs d’une misérable politique. Ainsi tout paraissait odieux ou dérisoire dans les appuis d’un régime en déclin. Pour les sages eux-mêmes, l’ordre existant ne semblait plus fondé que sur de scandaleuses fictions, et l’auteur des Lettres persanes nous a appris comment le plus éclairé, le plus pénétrant et le plus modéré des observateurs pouvait juger la société et son gouvernement il y a cent trente ans. Juste peine des fautes du passé, on attaqua tout sans choix ni mesure; le dégoût engendra l’injustice, le déchaînement répondit à l’oppression. Quand le respect se perd, soyez sûr que le respectable s’est perdu le premier.

Ainsi s’expliquent certains excès de la raison moderne. Ainsi encore se motivent, sans être par là justifiées, les erreurs de la philosophie. Elle fut du temps et du pays. Elle eut les torts d’une opposition fondée, mais passionnée. Il n’y a point de parfaite intelligence sans une certaine impartialité, et les hommes ne sortent guère d’un excès que par un autre. Néanmoins, tandis que la philosophie, entraînée par une opposition légitime, se jetait dans une extrémité ou prenait le ton du jour, elle propageait aussi les principes de sociabilité qui peuvent seuls ennoblir notre passage sur la terre. Tandis que quelques-uns de ses adeptes ardens à tout abattre refusaient à la nature le principe même de l’ordre, à l’homme la plus haute de ses idées, à la morale sa sanction la plus auguste, à l’esthétique la beauté qui ne périt pas, la philosophie générale relevait l’homme abaissé par leurs sophismes à la hauteur d’un être raisonnable et libre, qui ne peut être gouverné que par la raison dans la liberté. C’est elle en un mot qui préparait l’ère de 1789.

Oui, la société formée par ces maîtres si décriés aujourd’hui a produit la noble génération dont nous avons vu s’éteindre les derniers restes. Ces disciples d’une école tant outragée, où sont donc leurs pareils en générosité, en indépendance, en désintéressement, en courage? On répudie les doctrines sensualistes; on se vante de croyances contraires; on ne peut assez maudire les principes dissolvans qui ont tout perdu. Le ton a changé; il est plus retenu, plus correct; on baisse timidement les yeux aux citations des livres imprimés il y a cent ans. On admire l’ascétisme du moyen âge, et l’on rougit de la