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si toutefois la chose paraît louable au major. — Le lieutenant ne prenait jamais un parti sur quoi que ce soit sans cette restriction.

La proposition, faite par le major, fut agréée par le danneman d’un air à demi satisfait. — Ce sera donc, dit-il avec un sourire inquiet, comme un repas de noces, où chacun apporte son plat ? — Toutefois il accepta ; mais, malgré les insinuations de Christian, il ne fut pas même question de faire asseoir les femmes. Cela était trop contraire aux usages, et les jeunes officiers eussent craint de paraître ridicules en proposant au danneman une si grande infraction à la dignité d’un chef de famille.

Pendant que l’on déballait d’un côté et que l’on causait de l’autre, Christian examina la maison en dehors et en dedans. C’était le même système de construction qu’il avait déjà remarqué dans le gaard du Stollborg : des troncs de sapin calfeutrés avec de la mousse, l’extérieur peint en rouge à l’oxyde de fer, un toit d’écorce de bouleau recouvert de terre et de gazon. Comme la neige, très abondante dans cette région montagneuse, eût pu surcharger le toit, elle avait été balayée avec soin, et la chèvre du danneman, plus grande d’un tiers que celle de nos climats, faisait entendre un bêlement plaintif à la vue de cette herbe fraîche mise à découvert.

Il faisait si chaud dans l’intérieur que tout le monde jeta pelisses et bonnets pour rester en bras de chemise. Cette maisonnette, aisée et spacieuse comparativement à beaucoup d’autres de la localité, était encore assez petite ; mais elle était d’une coupe élégante, et sa galerie extérieure, sous le bord avancé du toit, lui donnait l’aspect comfortable et pittoresque d’un chalet suisse. Une seule pièce, abritée du froid extérieur par un court vestibule, suffisait à toute la famille, composée de cinq personnes, le danneman veuf, sa sœur, un fils de quinze ans, et deux filles plus âgées. Le poêle était un cylindre en briques de Hollande, de quatre pieds de haut, avec une cheminée accolée, le tout au centre de la maison. Le sol brut était jonché, en guise de tapis, de feuilles de sapin qui répandaient une odeur agréable et saine.

Christian se demandait où couchait toute cette famille, car il ne voyait que deux lits enfoncés dans la muraille comme dans des cases de navire. On lui expliqua que ces lits étaient ceux du danneman et de sa sœur. Les enfans couchaient sur des bancs, avec une fourrure pour toute literie. — Au reste, dit le major à Christian, qui s’informait de tout avec curiosité, si vous trouvez ici la rudesse d’habitudes de nos montagnards de pure race, vous y pourriez trouver en même temps un luxe particulier à la profession de notre hôte et à la richesse giboyeuse de ces lieux sauvages. Je vous ai dit que le danneman Bœtsoï était un chasseur habile et plein d’expérience ; mais il