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puans, les parjures et les meurtriers ! Comprenez-vous ceci ? savez-vous ce que je veux dire ? »

— Non, je n’en sais rien du tout, répondit Christian, qui reconnut le refrain des anciens chants Scandinaves de la Voluspa, et qui crut reconnaître aussi la voix des galets du Stollborg.

— Ne l’interromps pas, dit le danneman. Parle toujours, Karine, on t’écoute.

« J’ai vu briller le feu dans la salle du riche, reprit-elle, mais devant la porte se tenait la mort, »

— Est-ce pour ce jeune homme que tu dis cela ? demanda le danneman à sa sœur.

Elle continua sans paraître entendre la question :

« Un jour, dans un champ, je donnai mes habits à deux hommes de bois ; quand ils en furent revêtus, ils semblèrent des héros : l’homme nu est timide. »

— Ah ! tu vois ! s’écria Bœtsoï en regardant Christian d’un air de triomphe naïf ; voilà, j’espère, qu’elle parle clairement !

— Vous trouvez ?

— Mais oui, je trouve. Elle te recommande d’être bien vêtu et bien armé.

— C’est un bon conseil à coup sûr ; mais est-ce tout ?

— Écoute, écoute, elle va parler encore, dit le danneman.

Et la voyante reprit :

« L’insensé croit qu’il vivra éternellement s’il fuit le combat ; mais l’âge même ne lui donnera pas la paix : c’est à sa lance de la lui donner. Comprenez-vous ? savez-vous ce que je veux dire ? »

— Oui, oui, Karine ! s’écria le danneman satisfait. Tu as bien parlé, et maintenant tu peux te rendormir ; les enfans veilleront sur toi, et tu ne seras plus troublée.

— Laissez-moi donc, dit Karine ; à présent la vala retombe dans la nuit. — Elle cacha son visage dans sa couverture, et son maigre corps sembla s’enfoncer et disparaître dans son matelas de plumes d’eider, riche présent que lui avait fait le danneman, plein de vénération pour elle.

— J’espère que tu es content, dit-il à Christian en prenant une longue corde dans un coin de la chambre ; la prédiction est bonne !

— Très bonne, répondit Christian. Cette fois j’ai compris. Rien ne sert aux gens prudens de se cacher, le plus sûr est de marcher droit à l’ennemi. Or donc en route, mon cher hôte ! Mais que voulez-vous faire de cette corde ?

— Donne ton bras, répondit le danneman, et il se mit à rouler la corde avec beaucoup de soin autour du bras gauche de Christian. — Voilà tout ce qu’il faut pour amuser le malin, dit-il ; pendant qu’il