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ce qu’un riche vous paierait. Je ne suis pas venu ici en qualité de pauvre, vous ne me devez rien.

— Je ne veux rien, dit le danneman ; reprends ton argent, et viens me trouver quand tu voudras. Que sais-tu faire ?

— Tout ce que vous m’apprendrez, je le saurai vite.

Le danneman sourit. — C’est-à-dire, reprit-il, que tu ne sais rien ?

— Je sais tuer les malins au moins !

— Oui, et très bien. Tu sais même manier la hache et tailler le bois. J’ai vu ça. Mais sais-tu voyager ?

— C’est ce que je sais le mieux.

— Dormir sur un banc ?

— Et même sur une pierre.

— Sais-tu le lapon, le samoïède, le russe ?

— Non, je sais l’italien, l’espagnol, le français, l’allemand et l’anglais.

— Ça ne me servira de rien, mais ça me prouve que tu peux apprendre à parler de plusieurs manières. Eh bien ! reviens quand tu voudras, avant la fin du mois de thor (janvier), et si tu veux aller à Drontheim, et même plus loin, je serai content de ne pas voyager seul… Ou bien, si j’emmène Olof, qui me tourmente pour commencer à courir, tu garderas ma maison. Mes deux filles sont fiancées, je t’en avertis. Évite de donner de la jalousie à leurs fiancés, ce serait à tes risques. Soigne la tante Karine ; elle est douce, mais il ne faut pas la contrarier : je l’ai défendu une fois pour toutes.

— Je la soignerai comme ma mère, répondit Christian ému ; mais, dites-moi, est-elle malade ou infirme ? Pourquoi…

— On te dira cela, si tu restes à la maison. Que veux-tu gagner à mon service ?

— Rien.

— Comment, rien ?

— Le pain et l’abri, n’est-ce pas assez ?

Herr Christian, dit le danneman en fronçant le sourcil, tu es donc un paresseux ou un mauvais sujet, que tu ne songes pas à l’avenir ?

Christian vit qu’en montrant trop de désintéressement, il avait fait naître la méfiance. — Connaissez-vous M. Goefle ? dit-il.

— L’avocat ? Oui, très bien, c’est moi qui lui ai vendu son cheval, un bon cheval, celui-là, et un brave homme, l’avocat !

— Eh bien ! il vous répondra de moi. Aurez-vous confiance ?

— Oui, c’est convenu. Reprends ton argent.

— Et si je vous priais de me le garder ?

— C’est donc de l’argent volé ? s’écria le danneman, redevenu méfiant.