Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/814

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personnel de la marquise de Prie. Aux cupidités d’une nature élégante dans ses habitudes, mais vulgaire dans ses instincts, cette femme joignait toutes les ambitions de l’esprit novateur qui déjà commençaient à poindre dans le demi-monde auquel elle appartenait par son origine, l’ignorance de M. Le duc laissant d’ailleurs à sa maîtresse, en matière d’administration, tout le champ que l’apathie de Louis XV allait bientôt livrer à Mme de Pompadour. Cette figure de Mme de Prie est remarquable. Ce n’est pas sans saisissement qu’à l’entrée de la longue galerie à travers laquelle des scandales chaque jour plus énormes conduisent à de si terribles expiations, l’on rencontre cette jeune femme qu’une main maternelle avait dressée pour la séduction, et qui cachait des dérèglemens effrénés sous la naïveté empruntée de l’enfance. C’est dans Suétone et dans Pétrone qu’il faudrait étudier ces types féminins du XVIIIe siècle, étrangers jusqu’alors aux sociétés chrétiennes. En voyant l’ardente maîtresse de M. Le duc chercher avec calme et à jour fixe un refuge dans la mort contre la disgrâce, le seul malheur qu’elle eût été enseignée à redouter, l’on dirait l’une de ces femmes formées par les arts de la Grèce pour les plaisirs de la Rome impériale, et qui passaient sans murmure de la couche de César au bain parfumé où, le poison dans le sein, elles allaient dormir leur dernier sommeil.

Mme de Prie avait livré à la discrétion de Pâris-Duverney le pays que la faiblesse de son amant avait abandonné à sa fantaisie. Il fallait donc que la nation pourvût en même temps aux cupidités d’une fille de traitant et aux expériences de l’homme le plus propre à briller dans une académie et à perdre un royaume. Duverney ne rêvait rien moins que l’égalité des impôts, la taxe unique, le cadastre des terres, l’uniformité de l’administration; il voulait toutes ces choses-là en 1725 avec l’ardeur impatiente d’un constituant de 1791. Qu’on se représente un théoricien inflexible, sans aucun titre officiel dans le ministère, sans autre appui que celui d’une favorite, entreprenant en plein ancien régime, en présence des parlemens insurgés, une révolution dans tous les principes de la société française avant que cette révolution fût consommée dans les faits, et l’on comprendra dans quel abîme de confusion de tels projets durent précipiter le royaume.

Afin de s’assurer quelque appui dans cette lutte inégale contre tous les corps de l’état et tous les intérêts menacés, Duverney s’était efforcé de se concilier le peuple. Dans cette pensée, il diminua de moitié la valeur légale des monnaies, et réduisit l’intérêt de l’argent au denier trente[1], persuadé qu’il provoquerait ainsi une

  1. Édits et arrêts du 28 juin et 22 septembre 1724, 14 décembre 1725.