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n’annonçait encore dans le jeune roi ni l’éveil de la volonté ni même celui des sens, et le premier ministre se tenait pour assuré d’un prince auquel il semblait en coûter de régner et presque de vivre. Si les alarmans symptômes de l’enfance avaient disparu, si Louis XV, à seize ans, était beau comme un dieu de l’Olympe, avec quelle inquiète sollicitude le chef de la maison de Condé n’observait-il pas cette inerte nature contre laquelle venaient s’émousser les plus ardentes séductions de la cour! Ce fut surtout lorsque, au commencement de 1725, le roi eut échappé à une maladie soudaine, un moment réputée mortelle, qu’on vit redoubler les angoisses de ce prince, et qu’il se trouva conduit à envisager comme possible un malheur mille fois plus grand à ses yeux que la perte du pouvoir, celui de voir passer la couronne au chef de la maison d’Orléans, à défaut d’héritier mâle du jeune monarque.

Cette simple éventualité, bientôt conjurée d’ailleurs par la santé de plus en plus fortifiée du roi, avait suffi pour faire prendre à M. Le duc et à sa maîtresse la résolution la plus étrange et la plus odieuse qui ait jamais offensé un père et un roi. Une heureuse inspiration du régent avait, après de tristes désaccords, réuni par un double lien les intérêts des deux branches de la maison de Bourbon et ceux des deux grands peuples sur lesquels s’étendait son sceptre. Élevée depuis trois ans sous les yeux des Parisiens, l’infante d’Espagne était chaque jour saluée reine par la France et par l’Europe. L’un des premiers actes de M. Le duc avait été d’annoncer à la cour de Madrid sa résolution de devancer l’époque des fiançailles afin de se concilier, avec le concours de Philippe V, la bienveillance d’Elisabeth, dont les passions étaient devenues plus que jamais les seules règles de la politique espagnole[1]. L’âme désolée du petit-fils de Louis XIV ne se ranimait un moment qu’à la pensée du mariage de sa fille chérie avec l’auguste chef de sa race. Dans six années, le mariage pouvait

  1. Les efforts du duc de Bourbon pour se concilier l’appui de la cour d’Espagne furent, à partir des derniers mois de 1724, remplacés par une sorte de réserve à laquelle ne tardèrent pas à succéder les plus étranges insinuations. Au commencement de 1725 et avant la maladie de Louis XV, les relations étaient déjà devenues des plus difficiles entre les deux gouvernemens. Faut-il chercher la source de ces difficultés dans le dédain avec lequel la cour de Saint-Ildephonse venait de repousser la demande d’une grandesse pour la marquise de Prie, que le maréchal de Tessé avait reçu l’ordre de lui adresser par une dépêche du 10 juillet 1724 citée par Lémontey? Serait-il juste de faire remonter à cette demande et à ce refus la première pensée du renvoi de l’infante? Il est difficile de se prononcer sur ce point. En reconnaissant, car cela demeure prouvé jusqu’à l’évidence, que Mme de Prie fut l’agent principal de cette grande intrigue, je persiste à penser qu’on se détermina surtout à Chantilly dans la vue d’enlever à la maison d’Orléans quelques chances successoriales, et plus encore par la certitude de faire rompre ainsi le mariage de Mlle de Beaujolais avec l’infant don Carlos, ce qui ne manqua pas d’arriver, puisque le renvoi de l’infante fut immédiatement suivi de celui de la jeune fille du régent. On voit quelle part dans tout cela demeurait à l’intérêt de la France.