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complet revirement dans l’attitude prise par la cour de Madrid envers la France depuis le triple mariage projeté entre les deux familles royales. Philippe V, blessé au plus vif de ses affections et de son orgueil, rappelait ses plénipotentiaires du congrès ouvert à Cambrai pour régler les affaires d’Italie et pour résoudre les questions depuis si longtemps pendantes entre l’Espagne et l’Autriche. En même temps, par l’une de ces transitions qu’explique la colère, ce prince passait, avec la cour de Vienne, d’une hostilité qui avait duré vingt-cinq ans à l’intimité la plus inattendue et la plus alarmante pour la France. L’un de ces aventuriers que semblent susciter les circonstances extraordinaires, le baron, depuis duc de Riperda, surexcitant les passions d’une famille et d’un peuple outragés, parvint à faire briller aux yeux éblouis d’Elisabeth Farnèse le mirage de la couronne impériale; ce Hollandais, devenu ministre d’Espagne à Vienne, sut persuader à l’aveugle tendresse d’une mère que l’empereur Charles V, privé d’héritier mâle, pourrait unir sa fille Marie-Thérèse à l’infant don Carlos, en choisissant ainsi pour la maison d’Autriche un vengeur dans le sein de la maison de Bourbon. Si chimérique que dût être un tel espoir, cette vague perspective suffit pour entraîner une cour fascinée par la haine à une démarche qui allait changer la face du monde politique. Riperda reçut des pouvoirs pour négocier une alliance offensive et défensive entre l’Espagne et l’Autriche[1], et le secret profond dont les dispositions de ce traité demeurèrent enveloppées laissa redouter à la France d’avoir, par l’imprudence et la légèreté de son gouvernement, perdu le bénéfice du testament de Charles II et peut-être reconstitué de ses propres mains une nouvelle maison de Bourgogne.

L’effroi commençait cependant à gagner les conseillers intimes du premier ministre, malgré l’appui que leur prêtait la jeune reine, dont ils entendaient faire leur complice, parce qu’elle avait été leur créature. Les périls grossissaient assez pour être aperçus même par les plus aveugles. Au milieu des luttes parlementaires les plus violentes pour l’impôt du cinquantième, ce pouvoir turbulent et inquiet s’était pris de querelle avec le clergé, dont il venait de fermer de force l’assemblée et de lacérer les registres. Au plus fort de l’émotion populaire, on apprenait que l’impératrice de Russie adhérait à la ligue de Vienne, et que la cour d’Espagne mettait la continuation de la paix au prix du renvoi ignominieux de M. Le duc et d’excuses portées à Madrid par ce prince en personne. Résolu de se cramponner au pouvoir qu’aucun compétiteur ne semblait en mesure de disputer alors à un prince du sang, le premier ministre demanda à l’Angleterre l’appui dont il avait besoin contre l’alliance austro-es-

  1. 30 avril 1725.