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Sans souci pour une autorité qui ne pouvait finir qu’avec sa vie, Fleury venait de terminer avec l’Espagne une négociation dont le résultat paraissait devoir mettre désormais hors de toute atteinte le repos de l’Europe, si longtemps menacé par l’inquiète ambition d’une mère. Un traité, signé à Séville, avait enfin attribué à l’infant don Carlos la succession aux duchés de Parme et de Toscane, et par une conséquence de cette disposition, cet acte avait autorisé l’envoi de six mille Espagnols en Italie, afin de sauvegarder le droit créé par les grands cabinets, malgré les protestations fort naturelles du dernier des Médicis. L’Autriche, quoique irritée d’un tel arrangement, y avait enfin accédé, grâce à l’intervention de l’Angleterre et de la Hollande, sous la promesse de George II de garantir à l’empereur cette pragmatique fameuse, à l’acceptation de laquelle Charles VI, privé d’héritier mâle, subordonnait tous les intérêts de l’Autriche et de l’Allemagne[1].

Ce fut cependant au lendemain de ce succès, réputé le gage le plus solide de la paix générale, que le cardinal de Fleury rencontra devant lui cette guerre qu’il avait toujours envisagée comme le pire des maux, et qui allait mettre le comble aux miracles de sa fortune, nonobstant la répugnance avec laquelle il s’y engagea. Sa destinée allait le contraindre à de grandes choses malgré l’antipathie qu’il professait en toute occasion pour les ministères historiques. Ce fut d’une impulsion latente, mais irrésistible, de l’esprit public que sortit la crise dont le résultat final fut de donner la Lorraine à la France et un nouveau royaume en Italie à la maison de Bourbon.


III.

La nation commençait en effet à échapper à l’homme qui affichait un systématique dédain pour toutes les aspirations étrangères à la sphère où se concentrait sa pensée. Vingt années s’étaient écoulées depuis les désastres du précédent régime, et quoique ceux-ci fussent bien loin encore d’être complètement réparés, la génération nouvelle se lassait d’un gouvernement qui discréditait la paix en affectant de la rechercher toujours. La jeune cour s’irritait surtout contre le ministre qui, non content de contrôler sévèrement toutes les libéralités royales, lui refusait les profits et les licences de cette vie des camps, dont les survivans du grand règne opposaient les souvenirs à la parcimonie du cardinal. Les vieux généraux, à leur tête Villars et Berwick, étaient devenus le centre d’une sourde opposition dont la trace se retrouve dans les écrits qu’ils nous ont laissés. Une

  1. Traité de Séville du 9 novembre 1729, traité de Vienne du 16 mars 1731. Dumont, Corps diplomatique, t. II, p. II, p. 158 et 288.