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même qu’il avait pu manquer de grandeur, s’effaçait de plus en plus devant un mouvement d’esprit dont il n’était pas le maître, devant des scandales qu’il ne pouvait plus cacher, et des complications extérieures auxquelles la faiblesse du cardinal ne sut opposer en dernier lieu qu’une détestable politique appuyée sur la violation d’un engagement sacré. L’esprit français, sorti des limbes où Fleury travaillait à le maintenir, s’était élancé à travers les abîmes à la recherche d’un monde nouveau, et le jour des grandes épreuves se rapprochait de plus en plus. Le roi, de son côté, avait échappé au joug des préceptes et des devoirs pour donner à sa cour le spectacle d’incestueuses tendresses prodiguées tour à tour à quatre sœurs. Supporté désormais par habitude plus que par attachement, le vieux précepteur était contraint, pour conserver le pouvoir, de pactiser avec des désordres, présages trop certains de dérèglemens plus honteux.

Pendant que ce ministre se raidissait contre l’attente générale de sa mort prochaine, le décès de Charles VI, survenu le 20 octobre 1740, posait pour l’Europe les plus redoutables problèmes, et contraignait la France à prendre un parti décidé. Les longs efforts de l’empereur pour assurer à l’aînée des archiduchesses, mariée depuis quatre ans au duc de Lorraine, l’intégrité de la monarchie autrichienne n’avaient pas répondu à son attente. Quoique l’acte de 1713 eut été accepté et solennellement garanti par toutes les grandes puissances, ce prince était à peine descendu dans la tombe, que divers prétendans réclamaient le morcellement de son héritage, les uns arguant du vieux droit germanique, les autres faisant valoir les prétentions de leurs femmes, issues des mâles de la maison d’Autriche. Parmi ces princes figuraient au premier rang l’électeur de Saxe, roi de Pologne, époux de la fille aînée de l’empereur Joseph Ier, et Charles-Albert de Bavière, dont tous les ennemis de Marie-Thérèse appuyaient la candidature à la couronne impériale d’Allemagne. Un autre rival montait d’ailleurs sur cette scène qu’il allait bientôt remplir du bruit de sa renommée et de l’éclat de son génie militaire. Le nouveau roi de Prusse, Frédéric II, était trop résolu à se faire adjuger la Silésie au milieu de cette confusion pour ne pas trouver dans les subtilités des jurisconsultes des argumens à faire valoir; aussi l’habile héritier du prince le plus avare de son siècle se hâta-t-il de les présenter en les soutenant par une armée de 80,000 hommes et un trésor de 80 millions.

La France venait de garantir la pragmatique. Par un traité, œuvre d’un ministre revêtu d’un caractère sacré, elle avait obtenu pour prix de cette garantie la cession d’une grande province, et jamais engagement n’avait été, devant Dieu et devant les hommes, empreint d’une authenticité plus éclatante. Si l’article 10 du traité de Vienne